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Dorothy Polley – interview

13 septembre 2013
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Dorothy Polley

Elle nous raconte son engagement artistique pour Obama en 2008 et 2012 et comment s’est déroulé son dernier coup de cœur avec la photographe de théâtre Laurencine Lot qui expose très prochainement soixante-dix portraits de grands acteurs de la Comédie française et d’ailleurs. 

Après une première transformation de ce lieu, de boulangerie en habitation il y a une cinquantaine d’années, pourquoi franchir le cap de la galerie en 2006 au 27 rue Keller dans le 11ème arrondissement?

Ce n’était pas exactement un rêve de petite fille comme les gens aiment souvent le dire. Avant la galerie, j’ai dévoué ma vie en France à l’enseignement. J’avais une école assez importante, subventionnée entre autres par le conseil général et un groupe audiovisuel. C’était une très grande école pour l’enseignement des langues.

Un jour un groupe japonais est venu me voir ; ils voulaient acheter l’école que j’animais depuis trente-cinq ans avec succès. C’était l’époque des 35 heures. Nous travaillions le double pour chercher des subventions, la pression syndicale était très forte sur ces heures supplémentaires. Je ne pouvais plus continuer ainsi même si j’aimais beaucoup mon travail et adorais mon école. Quand on m’a proposé de vendre – alors que je n’y pensais pas particulièrement, je l’ai fait.

A l’époque, le quartier était déjà vivant au niveau artistique. De plus, le père de mes enfants était artiste, ma fille est artiste et j’ai toujours été dans le milieu de l’art, mes amis aussi.

Quelques mois après, j’ai transformé notre habitation en galerie. J’ai vite travaillé avec deux étudiants de Sciences Po, également bons artistes, qui m’ont appris à faire des accrochages. J’ai donc appris petit à petit en travaillant avec des artistes compétents, puis j’ai laissé parler ma personnalité.

Je me sentais très impliquée dans l’art et la culture mais il n’y a pas eu un long travail de réflexion en amont. Dans mon travail c’est pareil, j’ai beaucoup d’idées et je me lance. Très souvent on ne sait pas d’où viennent les idées. Si quelque chose me plaît, j’y vais et je fonce. Si ça ne marche pas, je laisse et je fais autre chose (rires).

Au début de votre projet, avez-vous essuyé des critiques ?

devanture Dorothy's gallerySouvent on reçoit plus de critiques que d’encouragements. De grandes galeries et des journalistes m’ont ri au nez à l’époque : « Dorothy’s gallery, quelle idée ce nom ! », « Vous n’avez pas de ligne artistique ? C’est fini pour vous, vous ne tiendrez pas un mois ». C’était il y a sept ans.

J’ai même reçu des mails agressifs car j’étais considérée trop américaine, trop commerciale, mais il ne faut pas écouter ; la persévérance compte avant tout. Vous savez quand vous commencez à réussir, à faire des choses un peu différentes, vous rencontrez toujours des gens qui ne vous aiment pas a priori. Quand vous faites vos preuves, leur regard change.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes entrepreneurs artistiques ?

D’abord, être fidèle à son propre goût, faire ce qu’on voit, ce qu’on aime plutôt que ce qui nous a été recommandé et auquel on n’adhère pas. Ensuite, travailler avec les gens qui vous sont fidèles et qui ont du goût. L’expérience compte mais, avant tout, entourez-vous de gens pour lesquels vous avez beaucoup de respect. Prenez quelqu’un prêt à travailler, prêt à investir ses heures sans les compter. Vous allez dire que ça n’existe pas (rires). Enfin, il faut savoir solliciter de l’aide, l’opinion des autres. Vous êtes à la tête du projet, vous travaillez avec les autres, vous prenez les décisions mais échangez, faites parler le visiteur, engagez la conversation autour de l’art.

Cette invitation à la conversation, à l’échange, c’est américain ?

Dans mon école de langues, seuls les professeurs qui parlaient 10% du temps et qui laissaient les 90% restant aux élèves-stagiaires étaient embauchés. La parole était pour l’autre. C’est une technique qui vient de notre culture, oui. Dans la galerie, comme à l’école, il faut impliquer le public en posant des questions. Si c’est difficile, si vous rencontrez des résistances, commencez par quelques mots et après ils reprendront. La conversation autour de l’art, c’est indispensable pour faire évoluer ses projets dans une galerie.

Quelle est la charte artistique de Dorothy’s Gallery, le fil rouge ?

J’aime tout ce qui est figuratif, pas ce qui est minimal. Ce que vous voyez exposé dans la première pièce aujourd’hui, de Patrick Medrano et Anderson de Houston au Texas, c’est très ironique sur la société américaine. Il y a un message avec ce professeur-fantôme abandonné. Le petit garçon noir qui a un poulet dans ses mains, c’est l’histoire du racisme. Ces artistes ont en commun d’exprimer une opinion, ils ont quelque chose à dire.

Je suis contemporaine mais peut-être pas comme il faut. Regardez le tableau que j’ai dans la première pièce de Joshua Smith. Il a fait peut être quinze ou vingt couches de peinture. Joshua a un don pour projeter les lumières, pour faire une image sérielle. Donc c’est contemporain. Mais le terme « contemporain » que j’utilise c’est un certain mindset, une certaine vision de l’art, politique et social.

Dorothy’s Gallery est d’ailleurs une galerie engagée et démocrate. Comment vous êtes-vous lancée dans cette campagne artistique et politique pour le candidat Obama en 2008 et 2012 ?

En 2008 j’ai eu la visite d’une amie. Elle est venue me voir et m’a dit :

  •  Je suis si heureuse en ce moment, je travaille pour Obama.
  • Comment ça ?
  • Je l’aide pour sa campagne.
  • Je dois faire la même chose, ai-je pensé.

De là est née l’idée de contacter le parti démocrate et faire campagne pour Obama en France. L’effet boule de neige a pris. J’ai recommencé en 2012.

Votre chien s’appelle Kennedy, vous vous êtes engagée pour Obama, auriez-vous souhaité être une femme politique ?

Je suis déjà engagée en quelque sorte, mais à un autre niveau, plus local, ici. En tant que présidente du Carré Bastille, je travaille avec la mairie, les élus. Carré Bastille est une association à but non-lucratif dont la mission consiste à animer le quartier, faire venir le public pour rentrer dans nos espaces. C’est engagé. Je dialogue avec les commerçants en les encourageant à gagner leur vie et pour faire profiter le quartier de leur activité, de leur dynamisme.

En 2006, vous avez également initié le projet de centre culturel américain ici-même dans la galerie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

American Center interieurL’origine est assez ancienne. Ici à Paris, jusqu’en 1998, un centre américain était animé boulevard Raspail. C’était formidable, un très grand centre. Il y avait un théâtre, du sport, une école de langue, beaucoup d’activités et ils produisaient les plus grands talents américains, les grands comédiens et artistes. Tout le monde aimait cet American Center. Un jour, son directeur a décidé de partir à Bercy et il voulait que je travaille avec lui pour prendre en charge l’école de langue – j’avais déjà ma propre école. « It won’t work », ce n’est pas possible, ai-je répondu. Il n’y avait pas de moyens d’accès satisfaisant par les transports. Il a déménagé à Bercy. Quelques mois après, il a mis la clef sous la porte. L’American Center n’existait plus.

Inspirée par l’expérience animée de l’American Center de Raspail, j’ai souhaité ouvrir un lieu pour tous. Nous faisons beaucoup plus pour la culture qu’une galerie qui expose des œuvres aux murs : conférences, projections de films, concerts, soirées de « talks » en anglais.

En songe, il paraît que vous rêvez de promouvoir les échanges culturels avec les jeunes des deux rives de l’Atlantique ?

That’s exactly what I want to do.

Obama a dit que les Américains vivant comme moi à l’étranger sont les ambassadeurs de l’Amérique et que leur mission consiste à bring the world together, j’ai pris cela très au sérieux. Ma mission est aussi d’être une bonne ambassadrice pour l’Amérique.

Avec le président d’une école d’art dans cadre d’une exposition du printemps dernier, j’allais monter un projet pour montrer les liens entre Paris et Harlem. J’ai décidé de ne pas travailler avec cette personne mais l’idée ne m’a pas quitté d’établir des relations entre Harlem et le 11ème arrondissement. J’ai des idées mais je suis déjà impliquée dans beaucoup de projets.

Je vais vous dire, beaucoup d’artistes américains sont inconnus en France et méritent de l’être. Pour cela, j’expose les jeunes artistes émergents à côté de personnalités, vivantes ou non. Aujourd’hui par exemple, des artistes du Texas et du Connecticut sont exposés à côté de Jimi Hendrix, Janis Joplin et Henry Miller.

Vous appréciez chez Obama le message selon lequel tout sera possible, « Yes we can » ; peut–on dire qu’avec Dorothy tout devient possible aussi ?

Je ne sais pas. J’aimerais croire que oui, je crois beaucoup à la persévérance. Je peux vous dire que c’était plus facile de dire aux américains qu’à d’autres « Yes We can ». Quand ils vécurent l’une des plus fortes récessions de leur histoire et peut être de l’histoire du monde, les Américains ont su faire face et vraiment. Ils ont perdu leur maison, ils ont perdu des fonds, ils ont tous perdu beaucoup, mais ils ont cru que c’était possible de remonter et ils sont en train de s’en sortir.

D’où vient cette force ?

Well you know, les Américains ont débarqué, traversé l’Amérique, ils sont partis comme cow-boy pour vivre dans une autre partie de l’Amérique. A l’aventure. Donc toute cette aventure est vraiment marquée dans l’esprit des américains. Ils prennent des risque plus facilement, intelligemment ou non. Nous sommes nés avec l’idée de l’entrepreneuriat. Je suis née entrepreneur.

J’aimerais voir plus de gens entrepreneurs ici. Etre à son compte, travailler avec différentes personnes, être son propre maître et ne plus avoir le sentiment que le patron c’est l’ennemi. Il faut arrêter ce manque de dialogue entre les salariés et les patrons.

Vous soutenez des artistes américains en France mais également des artistes français, comme lors de la prochaine exposition avec la photographe de théâtre, Laurencine Lot. Vous fonctionnez aux coups de cœur, aux émotions, plutôt qu’aux tendances. Comment s’est passé le coup de cœur avec Laurencine ?

En octobre 2011, une femme qui voulait me présenter la photographe Laurencine Lot est venue me voir. Laurencine avait pris des photos de Carlotta Ikeda, danseuse de butô, une danse contemporaine japonaise. C’était la seule femme japonaise qui avait un groupe de danse butô en France et Laurencine, passionnée, la suivait depuis trente ans. Son rêve était de réaliser une grande exposition sur sa carrière. A ce moment-là, Carlotta Ikeda avait des représentations théâtrales au Théâtre Paris-Villette. Laurencine m’a montré le travail réalisé à cette période et nous avons monté une exposition de deux mois et demi. Puis, plus tard, Laurencine est revenue pour faire une expo de ses photos des plus grands acteurs de théâtre avec soixante-dix portraits. Elle est géniale. Elle ne fait pas deux cents prises pour une photo. Une seule prise et c’est la bonne.

Merci Dorothy de nous avoir consacré du temps, merci de votre ouverture et de votre engagement. Je vous souhaite tout le meilleur dans cette aventure artistique et citoyenne autour de l’art et pour le artistes. 

Propos recueillis par Marine de Baillenx
 

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