0 Shares 8983 Views

Mark Jenkins : « Dans la rue, il n’y a aucune limite »

23 juillet 2015
8983 Vues
Mark_Jenkins_1

Mark Jenkins : « Dans la rue, il n’y a aucune limite »

Mark Jenkins a l’habitude de kidnapper les rues. Depuis 2003, il multiplie les installations éphémères, entre humour, provocation et inquiétante étrangeté. Rencontre.

Vous venez de la musique. Comment avez-vous débuté dans le monde de l’art ?

J’ai commencé par la musique, et puis de plus en plus, l’idée de travailler sur des images m’a intéressé. Je n’ai pas étudié l’art, mais j’avais envie de faire des installations. Le travail de Juan Muñoz m’avaient beaucoup frappé, et m’a donné envie d’aller dans cette direction. Je ne connaissais aucune galeries. Mais j’ai compris à quel point cela fonctionnait bien de mettre des œuvres à l’extérieur. Une galerie est toujours un système fermé. Dans la rue, il n’y a aucune limite, et tout devient infini, d’une certaine façon. Le temps, les gens, tout devient une partie de l’œuvre. C’est une performance.

Vous accordez une grande place aux silhouettes sans visages…

D’une certaine façon, l’absence de visage facilite l’impression de vérité. Si nous mettons en scène une silhouette d’un sans abri qui dort sous une couverture, les passants ne savent pas s’il y a quelqu’un ou non. Les sculptures en scotch sont souvent créées à partir de moulages de mon propre corps, et de celui de Sandra Fernandez, avec qui je travaille en étroite collaboration depuis sept ans. C’est une façon d’explorer l’idée de clonage…

Pourquoi jouer sur l’hyperréalisme ?

Pour la plupart des street artistes, la question est de faire de l’art. Nous, nous créons avant tout une expérience sociale. Nous pourrions être des sociologues. Je pense que nous explorons quelque chose qui se situe au-delà du street art. C’est une autre expérience. La réalité de la ville peut être modifiée afin d’obliger les gens à ne pas tenir pour acquis ce qu’ils ont sous les yeux. La rue est la meilleure des scènes de spectacle…


Mark JenkinsVous avez le sentiment de porter un regard critique sur le monde actuel – par exemple la société de consommation, avec ces ordures et ces sacs plastiques qui sont très présents dans votre travail ?

Ce n’est pas une démarche consciente, mais nous intégrons ce qui se passe dans la ville. Nous créons des objets qui font partie de l’environnement urbain et s’en nourrisse. Je ne pense pas pour autant que nous proposions un commentaire évident. Blu, par exemple, tend un miroir immense, son message est écrit en lettres capitales. Ce n’est pas ce que je recherche, pour moi une œuvre d’art doit avant tout être une question.


Pourquoi privilégier les sculptures en scotch, un matériau fragile, un peu trivial ?

C’est la première chose qui me soit tombée sous la main ! C’est d’ailleurs un matériau retors. Nous continuons à expérimenter, à apprendre comment construire, et bâtir des sculptures que nous consolidons avec du ciment. Cette fragilité me plaisait beaucoup sur la série des bébés que nous suspendions dans la ville ou dans la nature : ils avaient quelque chose de perturbant, comme des insectes qui auraient tenté de survivre à l’extérieur. Au bout de quelques jours, ils se détérioraient…

Il y a de l’humour noir dans votre travail…

Bien sûr, mais c’est un humour différent de celui de Banksy – où vous comprenez pourquoi vous riez… Et j’aime penser qu’elles sont aussi poétiques que drôles.


Par qui vous sentez-vous influencé ?

Hans Bellmer. J’aime la façon dont il a traité la sculpture. Ce n’était pas tant un artiste qu’un fétichiste. Son art était pour lui très thérapeutique, c’était comme une mise en scène de ses propres problèmes psychiques… Et il me semble que pour moi c’est un peu ça : si je peux comprendre mon art, je peux me comprendre moi-même. Peut-être que j’ai une personnalité morbide, mais penser à la mort ne m’a jamais paru tragique.

Mark JenkinsQuel regard portez-vous sur la scène street art aujourd’hui ?

Je pense que c’est un mouvement important, mais que c’est surtout vers 2004-2006 qu’il a eu la plus grande vitalité. De nouveaux artistes ne cessent d’arriver, mais j’ai l’impression que souvent ils n’apportent pas grand-chose de très original ; Banksy ou Blu, eux, avaient vraiment créé du nouveau. Beaucoup copient… Et je suis souvent déçu par les artistes qui ont eu une démarche très originale dans la rue et ensuite, en galerie, se contentent de faire de l’argent avec des toiles très ennuyeuses…


Comment procédez-vous pour passer en galerie ?

Ce n’est pas facile. Il faut dans ce cas que nos sculptures aient un sens qui ne dépendent pas de l’environnement. Prendre telle quelle une sculpture dans la rue et l’amener simplement en galerie n’aurait pas de sens.

Propos recueillis par Sophie Pujas

[Visuels (de haut en bas) : Mark Jenkins, All You Can Eat, Sao Paulo, Brésil (2007) // Mark Jenkins, Embed Series, Washington DC, USA (2006) // Mark Jenkins, Embed Series, Washington DC, USA (2006) – Tous les visuels : Courtesy Galerie Patricia Dorfmann, Paris]

 

Articles liés

“Les Chatouilles” : un spectacle exceptionnel et indispensable
Spectacle
239 vues

“Les Chatouilles” : un spectacle exceptionnel et indispensable

Dix ans après sa création au Festival d’Avignon, Andréa Bescond revient poser ses valises au Théâtre de l’Atelier à Paris pour ce seul en scène éblouissant de talent et de fulgurance dramatique. Un Molière en 2016 et un César...

“La Révolution Française, Parisiens réveillez-vous !”, de retour dès le 3 mai au 13e art !
Agenda
138 vues

“La Révolution Française, Parisiens réveillez-vous !”, de retour dès le 3 mai au 13e art !

Revivez l’épopée de La Révolution Française 2024 : un jubilé époustouflant ! De l’emblématique Palais des Sports à l’immersion totale au 13e art, cette renaissance promet une expérience inoubliable. Sous la direction artistique de Ned Grujic, redécouvrez les valeurs...

“COALITION” : 15 ans d’art et d’écologie, une exposition à découvrir à la Gaîté Lyrique dès maintenant !
Agenda
255 vues

“COALITION” : 15 ans d’art et d’écologie, une exposition à découvrir à la Gaîté Lyrique dès maintenant !

Pour célébrer ses 15 ans, COAL, association de référence pour l’art et l’écologie, s’associe à la Gaîté Lyrique pour présenter une grande exposition pluridisciplinaire mettant en lumière près de 50 artistes représentant la richesse et la variété des approches...