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Stéphane Berla – Jack et La Mécanique du Cœur – interview

7 février 2014
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Jack et la mécanique du cœur - film d'animation

Jack et la mécanique du cœur

De Mathias Malzieu et Stéphane Berla 

Voix de Mathias Malzieu, Olivia Ruiz, Emily Loizeau, Rossy de Palma, Arthur H, Grand Corps Malade, Jean Rochefort et Babet

Durée : 94 min.

Sortie le 5 février 2014

Février 2014

Adaptation du roman de Mathias Malzieu, La Mécanique du Cœur, et de l’album homonyme du groupe de rock poétique Dionysos (dont il est le chanteur), Jack et la Mécanique du Cœur est sorti en salles depuis le 5 février 2014. A l’occasion de la présentation du film à la séance Enfants du 21ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, nous avons rencontré son co-réalisateur, Stéphane Berla, qui nous parle de son histoire d’amour artistique avec Mathias Malzieu et du travail méticuleux de l’équipe d’animation durant les six ans nécessaires à la réalisation du film.

Avez-vous facilement trouvé votre place dans l’univers de Jack et la Mécanique du Cœur ?

Le film, Jack et La Mécanique du Cœur, est une co-réalisation. Ce qui était génial, c’est donc que j’étais à la fois près de l’auteur du livre et du scénario (parce que Mathias a écrit le scénario) et du coup on a pu s’accorder tous les deux ensemble. En fait, je n’ai eu aucun souci pour entrer dans l’univers, parce que j’avais déjà réalisé les clips de Dionysos, (le groupe dont Mathias Malzieu est le leader, ndlr) et qu’ainsi je connaissais l’univers de Mathias. On est ultra-complémentaires, et surtout on a les mêmes références. On aime les mêmes choses, autant musicalement qu’au niveau de la littérature ou des films, et en général on est toujours raccord. On n’arrive pas à se fâcher. Même s’il nous arrivait parfois de ne pas être d’accord – si on était toujours d’accord ce serait ennuyeux – à un moment donné, on arrivait toujours à s’accorder et à trouver la bonne idée qui allait faire avancer le film. S’il y avait deux idées différentes, et si vraiment on s’opposait, en général, on finissait par additionner les deux idées pour en créer une nouvelle.

L’esthétique visuelle du film m’a fait penser à Joann Sfar, Tim Burton ou même Terry Gilliam. Est-ce que ce sont des références que vous aviez à l’esprit ?

Ce n’étaient pas des références directes du film. S’il y en avait, je dirais qu’elles se trouvent plus du côté des films live, des vrais films. Enfin, des « vrais films », les films d’animation sont de vrais films ; mais ce que je veux dire, c’est qu’on avait plus des références de films avec des comédiens, car l’émotion étant très importante dans Jack et la Mécanique du Cœur , on voulait que ce ne soit pas un « dessin » animé, dans le sens où on ne caricature pas les émotions pour les simplifier ou pour les rendre plus accessibles aux enfants. On voulait vraiment que les émotions soient réelles et on a fait un travail d’animation très pointu sur les yeux, pour qu’ils paraissent réels, à tel point qu’on puisse croire que ce sont de vrais yeux.

Mais oui, il y a sans doute un peu de Terry Gilliam dans le film quand même, parce qu’avec Mathias on est de très grands fans de Terry Gilliam. En ce qui me concerne, c’est le réalisateur qui m’a donné envie de faire du cinéma, depuis que j’ai vu Brazil. Je n’avais plus qu’une envie ; c’était de faire comme lui. Pour moi, c’est un très grand monsieur du cinéma. Pour Mathias, c’est la même chose. Quand il a écrit son roman, il pensait forcément à Terry Gilliam, puisqu’une partie de son roman se passe en Andalousie, et qu’en plus sur l’album, il a fait le choix de prendre Jean Rochefort. Il y a un lien évident entre ces choix et Lost in La Mancha, ou plutôt le film qu’il aurait dû être, L’Homme qui tua Don Quichotte.

Pour Tim Burton, il s’agit plus d’un cousinage par rapport à l’état d’esprit de ses films, puisqu’en fait La Mécanique du Cœur, c’est de la poésie mélancolique. Il y a de l’aventure et un peu de mélancolie dedans, et en ce sens on est proche de l’esprit de Burton. Surtout, on a quelques références communes. On est tous les trois fans de Todd Browning, par exemple. Dans Jack et La Mécanique du Cœur, il y a des références très claires à Todd Browning, notamment à Freaks. Mais je pense que le parallèle s’arrête là, parce que La Mécanique est beaucoup plus doux que les films de Tim Burton, qui sont peut-être plus agressifs et plus proches du théâtre expressionniste.

Pour ce qui est de Joann Sfar, même si on n’a pas travaillé avec lui sur Jack et la Mécanique du Cœur, il y a forcément un parallèle à faire, parce qu’il a pendant longtemps illustré les pochettes des disques de Dionysos. Il avait fait celles de Monsters in Love et La Mécanique du Cœur, par exemple. En outre, même si on n’a pas repris des dessins directement, le clip de Tais-Toi Mon Cœur était un peu inspiré des dessins de Joann Sfar. Il y a donc un écho lointain de Joann Sfar  dans le film, mais il n’a pas travaillé dessus, bien qu’il ait failli ! Joann Sfar a en effet failli être le directeur artistique du film.

Justement, vous parliez des techniques d’animation. J’ai remarqué qu’il y en avait plusieurs ; il y a de la 3D, évidemment, mais il est aussi fait usage de marionnettes, il y a de l’origami sur cette fameuse séquence de train, il y avait aussi de la 2D, j’ai l’impression qu’il y avait aussi des papiers découpés. Comment avez-vous choisi toutes ces techniques et pourquoi fallait-il à tel moment changer de technique d’animation ?

Avant toute chose, la technique principale du film, c’est l’animation d’images de synthèse. C’est le même type d’animation que vous pouvez avoir dans les films Pixar, par exemple. Sauf que nous avons décidé d’utiliser cette technique-là pour des raisons pratiques, esthétiques et émotionnelles, mais nous avons aussi choisi des partis pris très forts pour donner du caractère au film. Par exemple, comme Méliès est un des personnages principaux du film – interprété par Jean Rochefort – on s’est dit : comment Méliès ferait ce film avec les moyens d’aujourd’hui ? Et de temps en temps, pour surprendre le spectateur, pour créer de la poésie et pour lui donner un côté plus ample, on s’est permis de faire le film en papier découpé ou avec des marionnettes. C’était pour faire un hommage au cinéma bricolé que nous, on aime bien.

Même s’il y a des moyens dans ce film, on a voulu lui donner une sincérité et un côté touchant en utilisant par moments un aspect bricolé et fait à la main. C’était quelque chose de très important pour nous ; on ne voulait pas que le film paraisse « numérique » et « moderne » dans le mauvais sens des termes. On voulait qu’il paraisse patiné. Avec Mathias, quand on parlait du film au début, on se disait : c’est comme si quelqu’un avait trouvé un film magique, avec des poupées vivantes, avec de vrais yeux humains et touchants au fin fond d’un grenier. Et tout d’un coup, ce film démarre et devient complètement magique et chamanique. Cette idée a été pour nous une sorte de fil conducteur jusqu’au bout. On voulait que le film soit contrasté en émotions, qu’il soit drôle, qu’il y ait de l’aventure et qu’il soit touchant, quitte à faire pleurer par moments, et on a appliqué ce principe à tous les niveaux.

Au niveau des personnages, par exemple, on s’est inspiré de marionnettes pour les corps, afin de leur donner du caractère. Les peaux ressemblent à la fois aux peaux humaines, mais surtout à de la porcelaine. On voulait que les spectateurs aient l’impression de pouvoir toucher les choses, et que ce ne soit pas virtuel et dématérialisé. Ce n’est pas parce qu’on faisait de l’image de synthèse qu’on ne pouvait pas donner l’impression que tout était palpable et physique ! Et au niveau des personnages, le corps est inspiré de marionnettes, certes, mais plus on se rapproche des visages, plus on s’est inspiré du regard humain. On a même envisagé de filmer des vrais yeux humains qu’on allait intégrer sur le visage des marionnettes. On n’a pas utilisé cette méthode parce que ça aurait été trop compliqué à l’échelle d’un long métrage, mais ça a été notre fil directeur. Ce qu’on voulait, c’était voir l’expressivité d’une marionnette sur les corps et le côté humain d’un comédien sur les gros plans des personnages. On ne voulait absolument pas une animation élastique, comme ce qu’on peut voir souvent sur les films d’animation américains, où toutes les émotions sont très surlignées, très exagérées pour que tout le monde les comprenne bien, et notamment les tout-petits. Nous on est partis du principe que les enfants comprennent les émotions, qu’il n’y a pas besoin de simplifier. Ce qui comptait c’est que les émotions soient réelles, qu’elles soient sincères et qu’elles ne soient pas filtrées.

Continuerez-vous à travailler ensemble, Mathias Malzieu et vous-même ?

Eh bien il y en a de fortes chances, en tous cas l’envie est là. Mathias et moi, on est tombés amoureux l’un de l’autre, artistiquement parlant. Donc on va voir comment ça va se passer, mais tous les deux on a vraiment une grande envie de retravailler ensemble. Parce que ça a été six ans d’une grande créativité. Ce qui est génial avec Mathias, c’est qu’il y avait toujours du rebond créatif. Jamais on n’a été bloqués ; ça a été une fantastique aventure !

Propos recueillis par Raphaëlle Chargois

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