Ken Loach : «La guerre est privatisée »
Ken Loach – «La guerre est en train d’être privatisée délibérément » |
![]() Ariane Allard (Artistik Rezo) : Fergus et Frankie sont deux « contractors » anglais qui monnayent leurs compétences en Irak. Pourquoi en avoir fait des mercenaires plutôt que des soldats ? Ken Loach : Parce que la guerre, aujourd’hui, s’est privatisée. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence avec les guerres précédentes. Le métier de la guerre est en train d’être privatisé, délibérément, sous nos yeux. Si le gouvernement britannique a pris la décision de retirer ses soldats d’Irak et d’y envoyer des mercenaires, c’est pour deux raisons. D’abord parce qu’en privatisant cette guerre, il la cache. De fait, quand un militaire meurt en terre étrangère, il a droit aux honneurs lorsque son corps est rapatrié. Alors que le mercenaire, lui, il revient dans une boite anonyme. L’État a moins d’obligations. Et ensuite, parce que cette guerre, hé bien… elle tourne en rond ! Ainsi, aujourd’hui, force est de reconnaitre qu’elle a été menée pour le bénéfice des grandes compagnies pétrolières. Et que, désormais, ce sont les sociétés privées de sécurité qui, grâce à elle, engrangent des bénéfices colossaux Vous avez fait des recherches sur ce sujet, éminemment polémique ? Vos acteurs aussi
Dans un souci de naturalisme, puisque c’est l’étiquette qui colle à votre œuvre depuis l’origine, à l’aube des années 70 ? Oui, le réalisme… Vous savez, au départ de toute façon, si l’on veut faire un film, hé bien, on doit forcément se coltiner avec la réalité ! En tout cas, se rendre compte de l’état de la société dans laquelle on vit, de ses contradictions. Après, quand vous voulez en faire une fiction, il faut évidemment trouver un personnage, une histoire, une narration qui permettront de donner vie à tout ça. Mais à mon avis, quelle que soit la texture de votre film, quel que soit son style, c’est obligé qu’il y a ait un rapport avec la réalité ! Après, moi, j’essaie de faire des films dont la texture, la matière, est sincère par rapport à la vie. Pour que le public ait l’impression d’observer une situation, même s’il n’y est pas. Quitte à lui montrer des scènes violentes, difficiles, comme cette scène de torture dans Route irish ? C’est une scène pivot dans la narration du film. Cela fait partie des choses cachées, mais qui se font avec l’autorisation du gouvernement des États-Unis, donc implicitement du gouvernement britannique puisque l’on ne s’est jamais dissociés d’eux. Et puis, du point de vue dramaturgique, la relation entre le tortionnaire et la personne torturée évolue. D’abord, il commence par mentir, puis il change son histoire, et encore, et encore. Du coup, on ne sait pas s’il dit la vérité. Et à la fin, il est prêt à dire n’importe quoi pour échapper à la torture. Ce qui montre bien que non seulement la torture est inégale, mais qu’elle ne sert à rien ! En fait, ce sujet, on en parlait depuis longtemps avec mon scénariste. Il fallait juste que l’on trouve le bon angle pour l’aborder. D’une certaine façon, je crois que c’est le film le plus compliqué que l’on ait jamais fait ensemble, Paul et moi ! Pour moi, en tout cas, c’est un film ouvertement politique, même s’il n’y a pas un seul discours politique à l’intérieur. Tout passe par l’action. Quoi qu’il en soit, je ne pourrais pas faire un film avec un point de vue qui soit contraire au mien ! Propos recueillis par Ariane Allard |
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