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Biennale de Lyon 2011 – projet de Victoria Noorthoorn

14 avril 2011
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Victoria Noorthoorn

J’ai voyagé et fait en sorte que cette exposition parle tout à la fois de l’incertitude du présent et de son proche avenir, qu’elle parle de la condition de l’artiste et de la nécessité de l’art, tout en restant ouverte au doute, à la contradiction et à la perplexité, au changement et au mouvement. Cette exposition est née des convictions et interrogations suivantes :  

1/ L’imagination est le pilier de la connaissance. Nous partageons avec Oscar Wilde chacune de ses célèbres épigrammes : « la fonction de l’artiste est d’inventer et non d’enregistrer » ; « le plaisir suprême de la littérature est de réaliser l’inexistant » ; et « je plaide pour le mensonge dans l’art ». Cela signifie que l’art doit prendre ses distances à l’égard du réel pour exister en tant que tel – en tant que construction artificielle – et pour répondre en retour, et avec éloquence, à la complexité du réel.  

2/ L’imagination permet au rationnel et à l’irrationnel de cohabiter avec la plus grande productivité. L’artifice de l’art se crée en réunissant ou en opposant des méthodologies très diverses, qu’elles soient rationnelles (ainsi, le retour aux notions modernes de sciences et d’encyclopédie) ou irrationnelles (ainsi, l’appel au mysticisme, à la fantasmagorie, à l’hallucination, au délire, au jeu et au hasard,jusqu’à l’abandon).  

3/ L’imagination permet à l’individu de prendre des risques, de repousser ses limites et d’explorer avec ou sans intention intellectuelle les gestes et les pratiques qui sont autant d’alternatives au présent – et donc de construire des utopies alternatives.

4/ L’imagination est la première des émancipations.

5/ La liberté peut prendre différentes formes dans l’art : l’interrogation du présent, la création d’un monde alternatif, la destruction constructive des discours et des langages établis. Cette destruction constructive rejoint l’imagination et fait de l’absurde, du délire et de l’humour des outils d’émancipation du langage.

6/ Dans son poème Pâques, 1916, le poète W. B. Yeats s’interroge sur son propre présent et analyse avec la plus grande incertitude la révolte des Irlandais revendiquant leur émancipation du joug britannique. A première vue, le poème semble célébrer les martyrs qui donnèrent leurs vies pour l’indépendance. Mais en y regardant de plus près, il est évident que le narrateur doute. Comme l’affirme Carlos Gamerro dans l’essai qu’il publie pour le catalogue de la Biennale de Lyon 2011, le poème, troublant, oscille entre affirmation, interrogation et négation, sans jamais prendre partie. Cette Biennale est pénétrée de ce sentiment qui nous laisse incapable de juger de l’évidence d’un présent. Nous préférons répondre, deviner et nous contredire en toute liberté.

7/ Une terrible beauté est née, le fameux vers du poème de Yeats qui donne son titre à la Biennale, rassemble deux notions apparemment opposées – c’est cette contradiction productive qui nous intéresse ici.

8/ Pourquoi est-il nécessaire d’interroger une fois encore cette notion de beauté ? La beauté est depuis toujours l’un des paramètres les plus violents et les plus arbitraires de la pensée occidentale. Interrogeons-nous : la Beauté – au sens de R. M. Rilke – est-elle toujours le début de la terreur ? Y’a-t-il une beauté qui ne soit pas terrible ? L’émergence de la beauté adoucitelle la brutalité du réel ou n’en renforce-t-elle pas au contraire les horreurs ?

9/ Cette Biennale est une réponse à ces questions et ces mécanismes en ce qu’elle orchestre les tensions, les vides et les excès sur lesquels s’appuient les artistes en réaction au présent. Dans sa mise en scène, la Biennale emprunte à la philosophie, au théâtre et à la littérature. La scène, le jeu, le dévoilement, la dissimilation ou le déguisement s’infiltrent partout dans la Biennale. La charte graphique conçue pour elle par l’artiste Erick Beltrán en est d’ailleurs un exemple. L’exposition invite ainsi la fiction à se développer et à commenter les contradictions du présent.

10/ Cette Biennale entend l’actuelle confusion de l’art, à une époque où celui-ci est principalement considéré comme un produit de marché. Ici, nous cherchons à élaborer une exposition conçue comme un réseau au sein duquel les œuvres communiquent entre elles, en créant du sens et en prenant position à l’égard du monde.

11/ A la suite de Wilde, cette exposition ne cherche pas à témoigner ; elle distingue l’art du journalisme.

12/ Elle distingue également l’art de la communication. Cette Biennale s’efforce de résister aux modes de communication courants qui exigent d’une exposition qu’elle soit soumise à un communiqué rédigé sur le même ton et empruntant un vocabulaire commun aux quatre coins du monde. Nous résistons à la nécessité d’expliquer la densité. Si des textes doivent être publiés dans le cadre de la Biennale ou dans son catalogue, ils le seront au titre d’œuvres d’art et pas en tant que textes étroitement explicatifs.

13/ Depuis l’Antiquité, les mots étaient par-dessus tout des images et les images, des mots. Ecrire, c’était faire image. Les unes et les autres incarnaient un sens et une action. La création d’une image suppose dorénavant la possibilité d’une action qui prenne place dans le réel. C’est cette action performative que nous souhaitons susciter.

14/ Chaque image a un effet, et cette exposition est conçue comme une réflexion sur ces effets. Nous partageons les réflexions de W. J. T. Mitchell en choisissant de nous interroger sur le désir et le faire des images, sur ce qu’elles véhiculent et comment, plutôt que ce qu’elles représentent. Nous souhaitons montrer le pouvoir des images, un pouvoir capable de modifier de façon radicale l’ordre établi. A cet égard, nous croyons à l’importance de la création de l’image – aussi fictionnelle, rare ou travestie qu’elle puisse paraître – en tant qu’action qui permet à son créateur de mettre en scène sa propre position idéologique.

15/ Nous souhaitons nous interroger sur le pouvoir de la ligne en tant qu’outil de démarcation du territoire et représentation d’une position dans le temps, dans l’espace et dans l’idéologie.

16/ C’est ainsi que nous souhaitons répondre à la confusion croissante entre art et politique. Pour nous, l’artiste est avant tout un sujet politique et l’art est politique. Nous n’avons aucune intention de faire de la politique au sein de l’espace d’exposition ; un tel désir serait redondant.

17/ La 11e Biennale de Lyon a été conçue à Buenos Aires, en Amérique du sud, pour et avec Lyon. Les artistes exposés ont été conviés durant de nombreux voyages de recherche en Europe et en Afrique au cours de l’année écoulée et ont été choisis pour leurs qualités personnelles et non en tant que représentants de leurs pays ou régions d’origines – faut-il le préciser ?

18/ Dans de nombreux cas, les artistes ont été invités à répondre les uns aux autres. Il leur a été ainsi demandé de résoudre des problèmes spécifiques et de participer à un dialogue avec d’autres artistes. Cette exposition est par conséquent le fruit d’une conversation permanente, d’un modus operandi qui croit au pouvoir du dialogue dans l’élaboration de tout projet.

19/ La 11e Biennale de Lyon a l’ambition d’être vivante. Si elle pouvait être considérée comme un animal ou une créature vivante, elle choisirait de l’être. Si elle peut entrer en guerre contre elle-même et répondre au caractère inexplicable du présent et à la puissance de l’art, elle ira le faire.

La 11e Biennale de Lyon rassemble 60 artistes du monde entier, venus principalement d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine, et dont les œuvres sont exposées sur 14 000 m2 dans quatre lieux : La Sucrière, la Fondation Bullukian, le Musée d’Art Contemporain de Lyon et l’usine T.A.S.E. Le catalogue de la Biennale est conçu et dirigé par une équipe éditoriale résidant à Buenos Aires, dont font partie les écrivains Carlos Gamerro et Rubén Mira, le dramaturge et metteur en scène Alejandro Tantanian, et moi-même. Conçu et publié en étroite relation avec Franck Gautherot aux Presses du Réel, ce catalogue est un projet éditorial autonome plutôt qu’une tentative de représentation de la Biennale en soi. »

Victoria Noorthoorn Buenos Aires,
12 avril 2011

A décourvrir sur Artistik Rezo :
Docks Art Fair 2011

Rendez-vous 11


[Visuel : Victoria Noorthoorn, commissaire © Cristiano Sant’Anna, 2008]

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