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“Les Sœurs Quispe”, drame de Sebastian Sepulveda

1 juin 2014
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Les Sœurs Quispe

De Sebastian Sepulveda

Avec Dina Quispe, Catalina Saavedra, Francisca Gavilán

Durée : 1h20

Sortie le 4 juin 2014

picHistoire vraie devenue quasi légendaire au Chili, cette tranche de (sur)vie dans une nature d’une sauvage et hostile beauté a raflé de nombreux prix, notamment en Europe. Un très beau voyage même si on en revient comme du bout de l’enfer.

Chili, 1974. Trois sœurs mènent une vie retirée dans un inconfort absolu sans eau ni électricité, subsistant du produit de leur troupeau. Ce mode d’existence est remis en question par l’arrivée de Pinochet au pouvoir dont les sœurs ne perçoivent que de lointains échos, ce qui ne les empêche pas d’en faire le principal sujet de leurs inquiétudes. Elles vont alors traverser une crise existentielle dont l’issue constituera une déflagration dans l’histoire du pays.

Pour faire se télescoper deux mondes, celui des sœurs dans l’immensité de leurs déserts, géographique mais aussi affectif, et celui de la ville où se fomente une véritable révolution sociale, le cinéaste Sebastian Sepulveda va planter sa caméra dans ces décors somptueux de l’Altiplano, cette région habitée parmi les plus hautes de la planète où la nature sauvage domine et que l’homme n’a pas encore domptée. Il va ausculter avec la précision de l’entomologiste le quotidien de ces trois femmes après la mort de leur sœur. Un quotidien de misère qui n’est toutefois jamais traité avec misérabilisme. Chaque geste fait l’objet d’une attention de tous les instants et la vie se déroule, imperturbablement au gré des saisons, des intempéries, des distances à parcourir aussi lorsque de hautes nécessités les imposent.

Une somptueuse photo

C’est pourtant l’autre monde, celui que vient de conquérir Augusto Pinochet, qui demeure au cœur du sujet. Avec les bribes d’information qui ne laissent pas filtrer ce qui s’apparente à une dictature en marche. Les préoccupations de ces trois femmes ne portent pas un pareil nom. Simplement une menace d’être privées de leur seul moyen de subsistance. La connaissance de l’hydre putschiste rend le propos plus terrible et plus terriblement présent encore sans que le monstre ne soit jamais évoqué ou montré.

Avec un naturalisme de tous les plans, le cinéaste dresse trois portraits passionnants auxquels s’agrègent ceux des quelques voisins lointains et d’un visiteur fuyant déjà le régime en demandant son chemin pour l’Argentine. Il est magistralement épaulé par son chef opérateur Inti Briones qui a reçu pour ce film le prix de la meilleure photographie lors de la Semaine de la Critique Internationale à Venise en 2013. Outre les paysages à la beauté renversante, ce dernier capte les visages, souvent en gros plan, pour en laisser lire une histoire et un passé de labeur quasi inhumain. Les séquences au coin du feu, autre élément clé du récit, loin de l’intimité qu’on pourrait leur prêter, se parent d’une incandescente vitalité. Les trois comédiennes (dont la nièce d’une des deux sœurs) mènent ce récit poignant avec une humilité totale. Un film d’une profondeur aussi abyssale que la double tragédie qui en fait le sujet.

Franck Bortelle

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