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A.R. Penck – Entre Feu et Glace – Galerie Jérôme de Noirmont

5 octobre 2011
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Galerie_de_Noirmont

Dès 1961, quand il crée son premier tableau qualifié de Weltbild (« tableau-­monde ») en réponse à la construction du mur de Berlin, Penck tente de s’affranchir de ses premières créations influencées par l’impressionnisme et l’expressionnisme. Il s’impose une « réduction des moyens » pour accéder à l’abstraction, considérée ici comme une clé pour atteindre l’universalité de l’expression picturale. Le Standart, cette figure humaine aux formes très épurées apparue en 1964, est l’illustration parfaite de cette démarche qui procède d’un essai de classification systématique des actions et interactions visuelles.

Parallèlement, dans les années 60, l’artiste, très intéressé par la cybernétique et les théories de l’information, se livre à d’autres expérimentations plastiques avec les Systembild, des « tableauxsystèmes » où les figures sont en mouvement, tels des « petits hommes-traits qui envoient des signaux et des informations ».

Cette approche très didactique de la peinture se mêle de plus en plus au fil des années à la vision expressionniste du sujet traité, vision issue des réactions de l’artiste face aux événements et au monde qui l’entoure. Ainsi, dans les années 1980, après son passage à l’Ouest, sa palette s’enrichit de nombreuses couleurs, contrastant avec celle, réduite, des années antérieures de clandestinité. La gamme chromatique utilisée alors, vive ou sombre, varie selon les aléas de sa découverte des sociétés occidentales, entre espoirs et désillusions…

Aujourd’hui, l’exposition « Entre feu et glace » synthétise les dernières réflexions de A.R. Penck sur cet équilibre à trouver entre la mise en image de ses émotions, donc une peinture plutôt expressionniste et chaotique, et la radicalité d’une composition méthodique issue d’une pensée froide et neutre.

Ce propos prend un accent particulier en regard de l’exposition « Sur les méthodes de la peinture », qui avait eu lieu à la galerie du 17 novembre 2000 au 13 janvier 2001, où Penck instaurait un dialogue avec Descartes, voyant dans les fondements du Discours de la Méthode une similarité avec sa propre démarche créatrice. Les tableaux présentés alors alternaient déjà entre figuration et abstraction, dans une distinction assez claire entre l’une et l’autre, fonction du sujet traité, selon qu’il relevait de la représentation (le peintre face au philosophe) ou du discours théorique.

Aujourd’hui, dans les nouvelles toiles, on retrouve cette confrontation entre des extrêmes, qui reflète la vision qu’a Penck de notre monde contemporain. La rigueur d’une ville en hiver (Stadt im Winter, 2007) vient ainsi s’opposer à la fougue chaleureuse des éléments naturels, celle du soleil et des volcans, si bien illustrée dans Elementarkräfte (2009).

Pour la plupart, ces nouvelles compositions sont beaucoup plus complexes, intégrant en leur sein toute la dualité de la démarche de Penck, les représentations expressionnistes et désordonnées de ses émotions se mêlant à une iconographie didactique, minimale et radicale, issue de ses théories picturales. Ainsi, dans le tableau qui donne son nom à l’exposition, « le feu de l’expression impulsive et le froid de la construction se confrontent » comme l’artiste le souligne lui-même.

Penck veut en réalité nous montrer que la vérité, qu’elle soit plastique, émotionnelle ou historique, ne se situe pas dans ces extrêmes mais qu’elle émerge, bien au contraire, de la confrontation entre deux opposés. L’artiste fait allusion à la difficulté de faire coexister l’abstraction et la figuration, l’émotionnel et le rationnel, calquant ses questionnements plastiques sur son analyse de notre réalité géo-politique. Trennung (séparation), tableau créé en 2009, figure ainsi une division à la fois intellectuelle et politique, avec un homme noir situé dans un espace extérieur rouge et blanc qui se tient à côté d’un homme blanc enfermé dans un espace restreint.

Parmi la vingtaine d’oeuvres exposées, nombreuses sont celles qui intègrent la représentation d’un serpent, telles Sehnsucht und Hoffnung (Désir et espoir), 2009, ou Halluzination, 2009. Penck considère le serpent comme un animal mystique particulier, incarnant un désir très puissant, et avait d’ailleurs réalisé une toile intitulée Snake in the night lors de la chute du mur de Berlin pour figurer les aspirations des Allemands de l’Est qui voulaient tout de l’Ouest. Dans le tableau Klarheit der Vokale (Clarté des voyelles), 2009, le serpent intervient en allusion au Surréalisme et à sa quête d’un équilibre entre deux états a priori contradictoires, à savoir le rêve et la réalité, l’onirique et le théorique… Un serpent rouge rieur qui symbolise les fondements du désir vient se glisser ici dans un enchevêtrement très structuré de voyelles et consonnes qui symbolisent quant à elles les fondements de l’esprit. Penck fait un clin d’oeil au Taxi pluvieux de Dali, installation à l’apparence loufoque, réalisée lors de l’Exposition internationale du Surréalisme en 1938, où un mannequin fut installé dans un taxi équipé d’une petite douche ; 15 jours après, la dame était couverte d’escargots et était devenue le portrait de Dorian Gray, donc une oeuvre d’art d’un point de vue surréaliste.

Les 23 peintures qui composent cette exposition sont le reflet de la maturité plastique qu’a aujourd’hui atteinte l’artiste allemand, du point d’accomplissement qu’il a trouvé dans une peinture qui reste expressionniste, mais avec une gestuelle bien plus limitée que celle des premières années, tout en s’inscrivant dans le cadre de ses théories picturales, qui ne se limitent plus à sa quête plastique initiale, essentiellement idiomatique. Plus de 30 ans après son passage à l’Ouest, l’artiste semble avoir enfin accédé à une certaine sérénité.


Galerie Jérôme de Noirmont
38, avenue Matignon
75008 Paris

www.denoirmont.com

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