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elles@centrepompidou : les oeuvres d’art ont-elles un sexe ?

19 juin 2009
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Déconstruction du genre
Marcelle Duchamp, Jacqueline Pollock, Francine Picabia ou encore Annie Warhol : autant de noms fièrement épinglés à l’entrée de l’exposition, autant  d’indices d’une histoire qui n’a pas eu lieu. C’est à l’expérience inédite d’une réhabilitation du matériau artistique et d’une réécriture du tissu historique de l’art contemporain que se risque le Centre Pompidou. Avec « elles », près de 500 artistes au centre de l’exposition et dont les 200 œuvres sont comme autant de rayons, le Centre Pompidou, fait entrer triomphalement les femmes dans l’Histoire de l’Art contemporain tout en entrant du même coup dans le cercle de la polémique. Rétrospective au sens propre, l’exposition tourne son regard vers la région éclipsée de la création moderne pour restituer la part manquante et pourtant marquante de son histoire au XXème siècle. Or s’il est besoin de consacrer une exposition d’art contemporain au travail des artistes femmes, ce n’est pas pour suggérer l’idée ni attester l’existence d’un « art féminin » mais au contraire pour le désamorcer et répondre à l’appel d’une nécessité : celle d’exhiber au grand jour les talents qui ont été court-circuités, de désabriter les œuvres dont le rayonnement a été absorbé par la lumière totale projetée par ailleurs sur les grands noms de la création masculine. Donner lieu et visibilité aux oeuvres qui ont été expulsées de l’histoire de la création avant même d’y être, au même titre que les autres, véritablement entrées : tel le sens de l’engagement artistique de l’exposition. C’est donc sur un travail de réécriture et de restitution historique que s’est penché le Centre Pompidou, aménageant chaque espace, chaque salle comme une pièce qui manquait encore au puzzle de l’art contemporain. Conformément à cet horizon, le point de vue dévoilé par l’exposition n’est donc pas avant tout celui des femmes, mais celui des œuvres.

 

Réécriture de l’Histoire en sept chapitres
Les œuvres de femmes sont exposées au fil de salles thématiques indiquées par un seuil de couleur rouge. La structure orthogonale de l’étage, rythmée par des espaces de traverses abritant niches et vitrines, irrigue le parcours en y introduisant les croisements et les déchirements qui constituent le tissu historique transversal de plus d’un demi-siècle. Authentique manifeste, elle@centrepompidou donne lieu à l’exhibition du talent de ces artistes à part : peintres, plasticiennes, designers, photographes, architectes, vidéastes, cinéastes, performeuses entrent dans une histoire à sept chapitres. Ce récit pour partie chronologique et pour partie thématique s’ouvre sur les œuvres avant-gardistes de la première moitié du XXème siècle : parmi ces « Pionnières » fréquentant le milieu du Surréalisme, du Cubisme et du Dadaïsme, nous rencontrons entre autres Suzanne Valadon, Frida Kahlo ou encore Sonia Delauney. A l’étage inférieur, est ouvert le « Feu à volonté » sous les tirs de Niki de Saint Phalle, de véritables performances guerrières ranimant l’ardeur d’une œuvre militante visant à abattre la domination masculine. Plus loin, objet de performance expérimentale inspirée par les mouvements activistes des années 1960 aux Etats-Unis, le corps se fait « Slogan », subvertissant le pouvoir esthétique de la représentation en véritable force politique. Un détournement culminant sous le règne de l’ « eccentric abstraction », témoin efficace et probant de la redéfinition, sous l’influence des artistes femmes, des catégories visuelles et théoriques. Cette transformation matérielle ne s’impose pas sans venir requalifier, sinon réinventer la façon dont s’habite l’espace : « Une chambre à soi » formule le reflet critique de l’espace domestique, matérialisant ainsi la nécessité pour les femmes d’occuper une autre place dans la société. Avec « un mot à l’œuvre », l’art conceptuel concentre son effort esthétique sur le matériau même de l’expression, donnant aux artistes femmes l’occasion d’investir de manière libre et significative le champ de la parole. En dernier lieu, l’appropriation du matériau artistique s’achève dans un geste de réduction radicale : « immatérielles », les œuvres estompent les frontières de la division du réel et de la séparation des genres au profit d’une essence universelle.

 

L’art a-t-il un sexe ?
La ligne de force de l’exposition consiste à mettre au jour la représentation de la femme déployée non seulement sur deux niveaux – 4 & 5 du Centre Pompidou – mais aussi à deux étages du sens, à savoir la façon dont nous nous représentons la représentation des femmes dans la collection. Et pourtant il est tout à fait clair qu’il ne s’agit là ni d’une exposition radicalement féministe ni même essentiellement féminine. Par conséquent, la tension extrême qu’entretient le thème de l’exposition avec son propre motif joue à plein et on ne sort jamais tout à fait de la contradiction inhérente à ce type d’initiative même si par ailleurs on échappe de justesse à l’écueil qui consisterait au fond à entretenir la différence en cherchant à souligner le caractère exceptionnel de l’exposition. Ce qui reviendrait à installer au centre le travail des artistes femmes pour en fin de compte le mettre en marge. Si l’intitulé attractif de l’exposition est encore aujourd’hui révélateur d’un certain malaise, le Centre Pompidou a conscience qu’il est temps de forcer l’évidence et de nous mettre présence des œuvres qui ont marqué la création contemporaine tout en demeurant pourtant réservées à l’arrière-plan, comme des méta-créations, des œuvres de seconde zone, des œuvres du « deuxième sexe ». Cette initiative est donc une invitation à la reconnaissance dans l’indifférence, une proposition subtile et audacieuse sous l’effet de laquelle le malaise s’évanouit : nous oublions le caractère sensationnel de l’exposition pour mieux nous laisser impressionner par les œuvres elles-mêmes.

 

Acteur dynamique d’une critique sans complaisance des modes de représentation à l’époque de la modernité, le Centre Pompidou inaugure l’ouverture d’un espace de visibilité que l’on souhaiterait voir se généraliser à l’ensemble des collections des musées nationaux voisins tels que le Louvre ou Orsay. De cette première esquisse, il revient aux autres conservateurs de musée d’achever le trait pour donner cette fois un visage complet à l’histoire de l’art contemporain du XXème siècle.

Nora Monnet

 

Jusqu’en février 2011
Tous les jours de 11h à 21h
Tarif plein de 10 à 12 € / Tarif réduit de 8 à 9 €
Renseignements au 01 44 78 14 63

 

Centre Pompidou
75191 Paris cedex 04
Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau, Châtelet, Les Halles
Bus : 21, 29, 38, 47, 58, 69, 70, 72, 74, 75, 76, 81, 85, 96
Parcours complet de l’exposition sur www.centrepompidou.fr

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