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Artistic Anatomie : 3 lieux où dialoguent l’art et la science

À Paris, une visite des collections médicales parisiennes du Musée de l’hôpital Saint-Louis, du Musée d’Histoire de la Médecine et du Musée Fragonard est l’occasion rêvée de s’interroger sur l’expérience artistique que peuvent susciter ces objets originellement à destination du corps médical.

Le rapport art-science est un thème en vogue. Longtemps dissociés, les patrimoines artistique et scientifique sont aujourd’hui au cœur d’un vaste projet de réconciliation où les images produites par la science font désormais l’objet de considérations esthétiques. 

Photo © DR

 

La collection de moulages de l’hôpital Saint-Louis : l’esthétique du laid

En plein cœur de l’hôpital Saint-Louis est logée la plus importante collection de moulages pathologiques du monde, des moulages qui viennent fixer les symptômes de maladies. Créée en 1867, la collection rassemble aujourd’hui pas moins de 4 807 fragments de corps en cire défigurés, malmenés et attaqués par des fléaux, tels que la redoutable syphilis. 

La grande majorité de ces cires ont été produites par Jules Baretta (1833-1923), un artiste mouleur de fruits en carton-pâte qui a ensuite pris le chemin de l’illustration médicale. Celui-ci est considéré comme l’initiateur d’un véritable art du moulage pathologique. Ses cires, conçues pour un cadre institutionnel afin de fournir un support pédagogique aux médecins, ont été réalisées sur nature et témoignent d’une recherche de traduction du réel. 

On peut considérer que la réalisation plastique de ces moulages est ainsi révélatrice d’une certaine authenticité, à laquelle on peut porter un jugement esthétique. En revanche, la représentation de la maladie dans l’art fait débat. Couramment jugée comme un sujet laid, elle est estimée comme inapte à intégrer le champ de l’art. Et pourtant, de nombreux artistes ont montré les facettes dérangeantes et répugnantes de l’existence dans leurs œuvres, de Jérôme Bosch à Damien Hirst, en passant par Francisco Goya ou Otto Dix, pour ne citer qu’eux. 

Par ailleurs, depuis quelques décennies, certains historiens de l’art concèdent que la monstruosité et la laideur font partie intégrante de l’esthétique (cf. Fascination de la laideur, de Murielle Gagnebin, 1994 ; Esthétique du laid, de Karl Rosenkranz, 2004 ; Histoire de la laideur d’Umberto Eco, 2007). 

Ainsi, à la vue pénible d’un fragment de corps décomposé et malmené par la maladie, certains spectateurs peuvent éprouver un sentiment de fascination et de plaisir. C’est le pouvoir expressif des représentations de la maladie. C’est pourquoi les visiteurs aventureux du Musée de l’hôpital Saint-Louis pourront vivre une expérience esthétique singulière. 

Photos © BIU Santé

Photos © BIU Santé

 

 

 

 

 

 

 

Le Musée d’Histoire de la Médecine : la science artistique  

Le Musée d’Histoire de la Médecine prend place dans une salle grandiose de l’ancienne Faculté de médecine, aujourd’hui siège de l’Université Paris-Descartes. Ses collections sont parmi les plus anciennes d’Europe et ont été réunies entre le XVIIIe et la fin du XIXe siècle. On y trouve toutes sortes d’instruments de chirurgie et autres objets opératoires.

La représentation anatomique est aussi à l’honneur dans ce musée, notamment avec un rare mannequin anatomique en bois, sculpté par l’anatomiste et artiste-céroplasticien (c’est-à-dire relatif à la cire) florentin Clemente Susini (1754-1814). Le modèle est reconnu autant comme une œuvre médicale qu’artistique. 

Différentes représentations du corps anatomique, provenant de différents continents, partagent encore l’espace du musée. Si l’homme et son corps ont été observés, puis esquissés, dessinés ou sculptés par les artistes, nous assistons aussi, à l’époque humaniste, à une interprétation artistique de ce corps par la science.

La représentation de l’anatomie va longtemps être assujettie à deux principes contraires. D’abord la description des organes, des muscles ou encore des articulations va répondre à un souci de réalisme. En revanche, on va entretenir la beauté extérieure du corps humain, sous le joug des Beaux-Arts qui le célèbrent et l’idéalisent, mais aussi parce que l’effet de conviction scientifique est plus grand lorsque les images sont esthétiquement belles. 

La collection du Musée d’Histoire de la Médecine montre bien la collaboration entre esthétique et anatomie, l’apport indispensable de l’art à la science. La transcription du corps disséqué y fait souvent l’objet d’une construction artificielle, soumise à la recherche d’un idéal esthétique où se joue une poétique du corps.


Le Musée Fragonard : l’art des préparations anatomiques 

Le Musée Fragonard se situe à l’intérieur de l’un des plus vieux musées de France, le Musée de l’École nationale vétérinaire d’Alfort dont la création remonte à 1766. Ce lieu historique exceptionnel expose des squelettes humains et animaliers, des moulages anatomiques, mais surtout les célèbres “Écorchés de Fragonard” qui sont uniques en leur genre.

Si le nom de Fragonard est assimilé communément à Jean-Honoré Fragonard, célèbre peintre français de scènes galantes et libertines sous Louis XV, il s’agit ici en réalité de son cousin Honoré Fragonard (1732-1799). Celui-ci était un anatomiste, ce qui ne l’a pas empêché de disposer également d’une certaine fibre artistique. Entre 1766 et 1771, il réalise ainsi une série d’écorchés, disséqués par lui et conservés grâce à une technique d’injections vasculaires et un vernis.

Photo © Christophe Lepetit

Les momies humaines et animales qu’il met au point ont la particularité d’avoir été placées dans des poses artistiques et théâtrales, comme en témoignent Le Cavalier de l’apocalypse et L’Homme à la mandibule, les seuls écorchés de Fragonard qui nous sont parvenus aujourd’hui avec un groupe de trois fœtus danseurs. Ses “sculptures de chair” évoquent chacune l’histoire de l’art dans sa dimension macabre : Le Cavalier évoque le cavalier de l’apocalypse ; L’Homme à la mandibule tient une mâchoire d’âne qui suggère la figure biblique de Samson se battant contre les Philistins. Enfin, les fœtus sont immortalisés dans un mouvement proche des danses macabres du Moyen-Âge. Malgré leur présence “morbide”, Fragonard nous offre, avec ses écorchés, une communion singulière et surprenante entre l’art et la science.  

Informations pratiques :

La collection de moulages de l’hôpital Saint-Louis
Visite uniquement sur rendez-vous
Ouvert du lundi au vendredi, de 9h à 16h30
Tarif : 6 € – Tarif réduit : 3 €
Adresse : Musée des Moulages Porte 14 – Secteur Gris
Métro : Goncourt, République, J. Bonsergent, Colonel Fabien
Tél : 01 42 49 99 15
hopital-saintlouis.aphp.fr

Le Musée d’Histoire de la Médecine  
Ouvert du lundi au samedi, sauf jeudi, de 14h à 17h
Du 15 juillet au 31 août : du lundi au vendredi
Tarif : 3,50 € – Tarif réduit  : 2,50 €
Adresse : 12 rue de l’École de Médecine – 75006 – Paris – 2e étage
Métro : Odéon
Tél : 01 76 53 16 93
www.univ-paris5.fr

Le Musée Fragonard  
Ouvert le mercredi, jeudi, samedi et dimanche, de 14h à 18h
Tarif : 8 € avec un audioguide – Gratuit jusqu’à 26 ans
Adresse : 7 avenue du Général de Gaulle – 94704 Maisons-Alfort
Métro : École vétérinaire de Maisons-Alfort – RER : Maisons-Alfort
Tél : 01 43 96 71 72
www.vet-alfort.fr

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