0 Shares 5323 Views

Diane Arbus – Jeu de Paume

25 novembre 2011
5323 Vues
DIANE_ARBUS_JUMELLES

Qu’est-ce qui a bien pu pousser cette femme née Nemerov en 1923 dans une riche famille juive de l’Upper West Side de New York, formée à la photographie par Lisette Model, collaboratrice des plus grands magazines tels Esquire ou Harper’s Bazaar, à se consacrer avec passion aux « freaks » : travestis, transformistes, nudistes, artistes de cirque, malades mentaux, géants, nains ? Le côté sulfureux de ces personnalités ou le désir de manifester sa rébellion à l’égard de son milieu d’origine très privilégié ?

Ce ne sera sans doute pas cette première rétrospective française de ce monument de la photographie qui éclaircira le mystère. Car ici point de livret explicatif accompagnant les clichés exposés. Pas non plus l’ombre d’un fil conducteur en vue. Le but recherché est atteint : laisser les œuvres à voir et à méditer. A chacun de répondre à ses propres questionnements. Certes, les deux dernières salles du parcours apportent au visiteur une documentation et des archives rassemblant carnets de note, correspondance et phrases célèbres de Diane Arbus, mais elles ne permettent pas de sonder l’œuvre.

DIANE_ARBUS_-_JEUNE_HOMME_AUX_BIGOUDISSe succèdent donc dans les salles un juif géant photographié dans la maison de ses parents, un enfant immortalisé avec une grenade-jouet à la main dans un parc, un couple d’amoureux adolescents, un nain fixant l’objectif, d’un air mi-placide mi-ironique, des transformistes surpris dans leurs loges, des malades mentaux jouant dans un parc… Un défilé de personnages hétéroclites et atypiques saisis dans toute leur imperfection et fragilité. Et Diane Arbus prend souvent ses portraits de face, à l’aide de son appareil de prédilection, le Rolleiflex.

Si les tentatives d’interprétation du travail de Diane Arbus se heurtent souvent au mystère insondable de sa fascination pour les freaks, pourquoi ne pas s’en tenir à ce que ces clichés offrent à voir : des tableaux emblématiques, sans filtre ni fioriture, de l’Amérique des années 50 à 70, glanés selon les méthodes d’une DIANE_ARBUS_GEANT_2documentariste. Diane Arbus en effet, choisit l’immersion dans les milieux qu’elle photographie. Constamment à la recherche d’expériences et de rencontres, elle ne rechigne pas à donner de sa personne : elle se met nue dans les camps de nudistes, dort une nuit dans la chambre d’un nain et le photographie au matin, erre toute une nuit dans les parcs et les quartiers malfamés de New York à l’affût de personnages interlopes.

Avant la consécration post-mortem, son œuvre suscitera une dichotomie de réactions : d’un côté la reconnaissance de ses pairs — elle est la première photographe à exposer à la Biennale de Venise en 1972 — de l’autre, l’incompréhension voire le rejet du public, l’accusant de voyeurisme là où sa motivation était uniquement le souci de vérité. Son suicide, en juillet 1971, après des années scandées par des épisodes dépressifs multiples, cristallisera son image de mythe tourmenté.

Diane Arbus fascine et dérange. Et ce n’est pas rendre justice à son talent et à sa vision que de la réduire à l’étiquette de photographe des « freaks ». Car mieux que quiconque, elle a réussi à gratter le vernis des apparences pour faire affluer la beauté dans l’étrange et remonter à la surface la grâce dans la laideur, bref restituer le plus fidèlement possible toute la diversité et la singularité des individus qui composent tout simplement l’humain.

Roxane Ghislaine Pierre


Diane Arbus au Jeu de Paume

Jusqu’au 5 février 2012
Mardi (nocturne), de midi à 21h
Du mercredi au vendredi, de midi à 19h
Samedi et dimanche, de 10h à 19h

Plein tarif : 8,5 euros // Tarif réduit : 5,5 euros
Mardis jeunes : entrée gratuite pour les étudiants et les visiteurs de moins de 26 ans, le dernier mardi du mois, de 17h à 21h

Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris

www.jeudepaume.org

[Visuels (de haut en bas) : Jumelles identiques, Roselle, New Jersey, 1967 © The Estate of Diane Arbus LLC, New York // Jeune homme en bigoudis chez lui, 20e Rue, N.Y.C. 1966 © The Estate of Diane Arbus LLC, New York // Géant juif avec ses parents dans leur appartement du Bronx, New York, 1970 © The Estate of Diane Arbus LLC, New York]

Articles liés

“La Danseuse” : Justine Raphet met en lumière la toxicité des relations amoureuses
Agenda
114 vues

“La Danseuse” : Justine Raphet met en lumière la toxicité des relations amoureuses

La Danseuse traite des relations amoureuses toxiques et de l’emprise au sein du couple en s’intéressant au parcours de vie de Noé et à sa relation amoureuse avec Adèle. Noé, jeune danseur, ne se sent pas en phase avec le...

Auster Loo Collective brisent les frontières de la musique et révèlent leur nouvel album au Studio de l’Ermitage !
Agenda
87 vues

Auster Loo Collective brisent les frontières de la musique et révèlent leur nouvel album au Studio de l’Ermitage !

Auster Loo Collective révèleront leur nouvel album (sous la direction de Simon Leleux) à l’occasion de sa sortie le 26 avril 2024 chez Igloo Records / Socadisc. Cet opus sera présenté le mercredi 22 mai 2024 sur la scène...

“Dilemma”: une carte blanche offerte à l’artiste Rebecca Brodskis à voir au Bastille Design Center
Agenda
95 vues

“Dilemma”: une carte blanche offerte à l’artiste Rebecca Brodskis à voir au Bastille Design Center

La galerie By Lara Sedbon, en collaboration avec Kristin Hjellegjerde Gallery, invite Rebecca Brodskis à investir les trois étages du Bastille Design Center au cœur d’une exposition inédite brassant des modes d’expression variés. Véritable carte blanche au sens large,...