Henri Cartier-Bresson à vue d’oeil
« L’homme-oeil entre au Louvre », titre Paris Match, le 29 octobre 1955. L’homme-oeil, c’est Henri Cartier-Bresson. Qui exposait déjà 350 photographies au pavillon de Marsan du musée parisien. Véritable globe-trotter, l’homme promène son regard en Inde, au moment où le Mahatma Gandhi se fait assassiner ; en Chine dans la période historique de 1948-1949 à l’avènement de la République Populaire ; et en URSS, en 1954, il obtient d’être le premier photographe étranger à fouler le territoire après la mort de Staline. Insatiable, Henri Cartier-Bresson agrandit son terrain de jeu au fil des années, entre L’Europe, le Mexique, le Canada, les Etats-Unis, le Japon, repoussant sans cesse les limites de la terra incognita.
De ces voyages aux latitudes lointaines, Henri Cartier-Bresson exprime aussi bien la mine patibulaire de deux chauffeurs de taxis allemands, que l’insouciance de gamins sévillans s’amusant dans un bâtiment en ruine. Les images manifestent une même effluve d’humanité furtive, une impression de vie évidente. « Je n’ai aucun message à délivrer, rien à prouver à voir et sentir, et c’est l’œil surpris qui décide », témoigne l’auteur, traduisant le fil d’Ariane de son œuvre. L’empreinte Cartier-Bresson réside dans l’instant de vie saisi par la lentille de son Leica : lors de la libération du camp de déportés de Dessau, en 1945, une femme reconnaît l’indicatrice de la Gestapo qui l’avait dénoncée. Le photographe parvient à capter un mouvement théâtral remarquable, entre le triomphe de l’une et la honte de l’autre, devant une assemblée attentive.
Moment de grâce
L’exposition de la Mep présente également des œuvres teintées d’esthétisme et de subtilité. Si l’instantané reste le propre d’Henri Cartier-Bresson, il fait également montre de mises en scène géométriques remarquables. Un cycliste passe en contrebas d’un escalier en colimaçon, et ce sont plusieurs niveaux de lecture des mouvements qui se confondent à en donner le tournis. Le jeu de l’ombre et de la lumière s’ajoute ensuite au travail photographique. Au croisement de trois ruelles, un passant, pris dans un rai de lumière déchirant les zones d’ombre, semble soudain mis sous les feux des projecteurs. Une fois de plus, on dirait le temps arrêté, comme pour mettre en lumière un événement décisif.
La rétrospective atteint son apothéose dans l’illustre cliché Le pont de l’Europe, pris à Paris en 1932. Le visiteur assiste tout simplement à un moment de grâce. Tout y est : l’homme sombre précisé par la clarté du tableau, l’espace entouré de grille, le mouvement en suspension, fugace, soudain, mais retenu pour l’éternité et le reflet dans l’eau soudainement éveillée. Seule la pensée du maître des lieux peut exprimer la portée de ce cliché : « La photographie est un couperet qui dans l’éternité saisit l’instant qui l’a éblouie. »
Clin d’œil
L’écriture légère et penchée d’Henri Cartier-Bresson, appliquée régulièrement aux murs de l’exposition, enrichie considérablement le parcours. Balisé de recueils de photo et de magazines pour lesquels a travaillé l’artiste : au-delà des nombreuses collaborations avec Paris-Match, la couverture de Life du 7 février 1955 après un reportage sur le peuple russe.
Henri Cartier-Bresson voulait « signifier » le monde. Lui donner du sens par l’image, afin d’humaniser la société. Le travail de la Mep permet de collecter ces instants de vie, réifiés par le photographe au cours de ses voyages. L’exposition propose une suite de clin d’œil, de secondes insaisissables qui, par leur unicité, sont d’une valeur inestimable.
Cyril Masurel
Jusqu’au 30 août 2009
Ouvert tous les jours de 11 heures à 20 heures, sauf les lundis, mardis et jours fériés.
Accès à la billetterie jusqu’à 19 heures 30.
Plein tarif: 6,50 €
Tarif-réduit: 3,50 €
Information et réservation : 01 44 78 75 00
Maison européenne de la photographie – 5/7 rue de Fourcy – Paris 4e
Métro Saint Paul
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