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Exposition The Hours Before – Jens Fänge – galerie Perrotin

1 mars 2016
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Exposition The Hours Before

Tableaux de Jens Fänge

Du 5 mars au 16 avril 2016

Du mardi au samedi de 10h à 19h

Entrée libre

Galerie Perrotin
16, rue de Turenne
75003 Paris
M° Saint-Sébastien – Froissart
(ligne 8)

www.perrotin.com

perrotin2Du 5 mars au 16 avril 2016

Découvrant les dernières oeuvres de Jens Fänge rassemblées à l’occasion de l’exposition The Hours Before, il est difficile de ne peut pas penser à Six Personnages en quête d’auteur, ce classique du théâtre de l’absurde écrit par Luigi Pirandello en 1921. Car les assemblages de Fänge imposent au regardeur de reconsidérer encore et à nouveau la réalité de ce qu’il voit – ou, peut-être, de ce à quoi il assiste. Un drame se joue ici, mais lequel ? Et de quoi s’agit-il ?

Dans la pièce de Pirandello, la répétition est interrompue par six personnages qui entrent en scène, déclarent que ce sont eux les véritables personnages tout en critiquent constamment les comédiens sur leur interprétation et leur manque de souci du détail. Après avoir tenté de les congédier, le Directeur cède et s’efforce d’intégrer à la pièce le récit des Personnages, en vain. Pirandello considérait la pièce comme une comédie, mais sa première fit scandale et les huées du public contraignirent son auteur à quitter le théâtre par la petite porte.

Fänge a déclaré que le point de départ de son travail peut se comparer à une scène de théâtre vide sur laquelle émergeraient progressivement comédiens et accessoires. Se refusant toutefois d’endosser le rôle de l’artiste omniscient, il opte vite pour d’autres méthodes, prêtant attention à ce qui se passe dans les oeuvres et à ce qui circule entre elles, évoquant même l’existence d’un mystère dont lui, l’artiste, ignorerait à peu près tout, mais qui serait nécessairement là.
Par son recours à la technique de l’assemblage, un autre élément revendique sa contribution à la production de la signification, à savoir, bien entendu, le matériau même. Et déjà, avant même de pénétrer dans les constructions labyrinthiques de Fänge, nous pouvons observer comment sont mises en oeuvre dans ses tableaux différentes strates de création et de dissipationde l’illusion, de production et de destruction de la signification.

Il est assez « naturel » que Fänge s’intéresse dans ce contexte à la période du début du XVe siècle, époque où l’on construit – ou invente – quasi simultanément en Flandre et en Italie du Nord, la perspective centrale. Nous pouvons également observer dans son travail des vestiges de techniques de construction de la perspective plus anciennes, en particulier celles qui caractérisent les icônes, notamment dans la façon dont Fänge figure une robe, ou dans le dallage du sol. Ce qui importe ici, c’est que sont présentes plusieurs techniques perspectivistes, la perspective centrale n’étant qu’une parmi d’autres. Ce qui est également intéressant, c’est la raison pour laquelle des peintres, travaillant habituellement pour l’Église, ou des mécènes entretenant d’étroites relations avec celle-ci, se sont lancés dans cette entreprise : avec la peinture à l’huile, il était désormais bien plus facile de créer l’illusion de la lumière. Et pourquoi dès lors ne pas peindre l’image miroir du monde que suggère la perspective centrale ? Elle aurait rendu plausibles les miracles. L’ange aux ailes fabuleuses peut désormais se tenir ici, en face de la Sainte Vierge, assise sur une chaise « réelle », ou penchée sur un livre « réel », tandis qu’entre les deux s’étend un sol carrelé « réel » et que l’on peut voir à travers la fenêtre un paysage « réel », à tout le moins réaliste. La perspective mise en oeuvre dans les icônes fonctionne d’une manière un peu différente de la perspective centrale ; c’est en fait une perspective inversée dont le point de fuite est situé dans l’observateur.

Abordant la problématique de la perspective centrale, Fänge s’inscrit dans une tradition représentée au XXe siècle par un certain nombre d’artistes, et tout d’abord par les impressionnistes et les postimpressionnistes, suivis des cubistes et des surréalistes. On peut en particulier relier le travail de Fänge à celui de Giorgio de Chirico qui utilisait une perspective déformée pour altérer entièrement la scène de ses tableaux. La perspective montrait désormais le scénario cauchemardesque d’un esprit tourmenté. Les scènes de Fänge partagent une qualité analogue, comme si la perspective se révélait fidèle à une expérience intérieure. Cela explique peut-être l’absence de points de fuite dans ces tableaux, qui sont des lieux sans échappatoire.

Mais les artistes qui se sont investis le plus activement dans ce débat esthétique d’un autre âge – comme on pourrait le penser – à propos de la perspective centrale, ce sont les postmodernes, et en particulier les Scandinaves. Certains d’entre eux se sont en effet inspirés plus spécifiquement des maîtres de la pré-Renaissance pour figurer des alternatives au point de vue unique, hégémonique, de la perspective centrale. Tout comme Fänge, ils l’utilisent comme outil de pensée et comme commentaire de ce qu’ils considèrent comme un canon moderniste normalisateur.

Sapant subtilement tous les canons esthétiques, Fänge use délibérément d’anachronismes pour narrer des récits non linéaires. Qu’une chose soit qualifiée de désuète suffit à attirer son attention et lui donner l’occasion de l’utiliser à ses propres fins.
Le dadaïste allemand Kurt Schwitters est l’un de ces personnages ambivalents avec qui Fänge considère que son travail est d’une manière ou d’une autre apparenté. Que Schwitters ait pu réaliser son Merzbau et ses collages en utilisant de manière « ultramoderne » des matériaux de toutes sortes, tout en gagnant sa vie durant son exil en Norvège en peignant des paysages et des marines, sans jamais désavouer aucune de ses oeuvres, fait de lui un artiste remarquablement complexe, l’un des rares de sa génération qui osa remettre en question le concept moderniste général d’art comme signe de progrès.

L’ambivalence – ou l’ambiguïté – est toujours présente dans l’oeuvre de Fänge, à tous les niveaux, mais plus particulièrement lorsqu’il s’agit de questionner la rigoureuse division des sexes. C’est intentionnellement que j’écris ici « sexes » et non « genres ». En effet, Fänge met en jeu la persona masculine ou féminine dans ce qui est ici davantagede l’ordre de l’identification ou de la projection.

Dans une série d’« autoportraits » datant des années 2000, il adopte le masque d’un dandy, frêle et raffiné, qui tombe littéralement en morceaux. Dans la série The Hours Before, Fänge se considère comme le protagoniste féminin, à moins qu’il n’envisage, en un certain sens, tous les personnages du drame comme autant d’autoportraits ; une forme d’identification qui s’inscrit dans une noble tradition, qu’on se rappelle le mot de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi. » Mais il émane aussi de la quasi-totalité de ses tableaux comme une impression de mascarade théâtrale.

Que se passe-t-il dans The Hours Before ? Le titre de l’exposition est emprunté à un roman éponyme du surréaliste suédois Stellan Mörner, un aristocrate des plus courtois, grand flâneur et moins surréaliste pur et dur que rêveur romantique. La source d’inspiration de ces tableaux, c’est la maquette de voilier à deux mâts, et plus particulièrement la texture de ses voiles, que le peintre conserve dans son atelier et qui est désormais présentée dans l’exposition. Cette élégante goélette, dont l’une des voiles porte un motif noir et blanc, pourrait être issue de l’un des rêves que dépeignait Stellan Mörner. Mais la façon dont se développent ces tableaux – ou assemblages – est typique de la manière de Fänge.
Au centre de l’exposition, un couple d’amants, un homme et une femme s’embrassent, comme dans le tableau Soft Machine. Mais ici, la femme est très soigneusement dépeinte tandis que son partenaire est parfois à peine esquissé, ce qui confère à l’image du couple une double qualité, à la fois d’accomplissement et de désir réunis dans un seul cadre.

D’autres personnages apparaissent par ailleurs dans les tableaux : un petit homme nu, comme couronné d’une auréole, et une petite femme nue, allongée sur le sol. L’étrangeté des perspectives, les ombres matérialisées, les tableaux dans les tableaux, les angles aigus, les sols inclinés… De quelle sorte de drame s’agit-il ici ? Est-ce une scène de crime ? Parfois, un aperçu sur la nature apparaît dans un tableau, inclus dans une peinture de plus grandes dimensions, comme un bois, peut-être une forêt évoquant celle où Dante égare ses protagonistes. Ce qui semble représenter quelque échappatoire au sentiment cauchemardesque que suscitent les intérieurs de Fänge se révèle un autre symbole inscrit dans la subtile chambre d’écho des souvenirs et des références que fait jouer l’artiste.

En définitive, que reste-t-il ici que nous puissions croire ? Les matériaux constitutifs des assemblages sont les voiles mêmes de ce merveilleux navire à bord duquel Fänge nous invite à embarquer. Tout le reste, les énigmes et les drames, ont quitté les toiles pour voguer jusque dans nos esprits. C’est à nous, regardeurs, qu’il revient de reconstituer le drame, de nous interroger sur ce qui s’est passé au cours des heures qui ont précédé.

A découvrir sur Artistik Rezo :
– Dossier des vernissages – Mars 2016

[Source texte : communiqué de presse de Gertrud Sandqvist, traduit de l’anglais par Christian-Martin Diebold // Crédit visuel : “Soft Machine” 2016 – “The hours before” 2016]

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