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Cannes 2015 : jour 3 (farces, contes et déceptions)

16 mai 2015
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the-lobster

68e Festival de Cannes

Du 13 au 24 mai 2015

www.festival-cannes.fr

Le 16 mai 2015

Après des débuts sous le signe du faste (et aussi, un peu, du cinéma), notre envoyée spéciale a réellement débuté son marathon de festivalière. Avec pas moins de quatre films au programme pour la journée de vendredi…

Ainsi commence la première vraie journée de cinéma en immersion totale. Après 3h d’un sommeil tout sauf réparateur, je file sur la Croisette (où souffle un vent qui réveille les esprits et glace les os) pour le film présenté en compétition officielle du réalisateur grec Yorgos Lanthimos, The Lobster.

Le cinéaste est habitué aux scénarios décalés et aux ambiances toujours à la limite du malaise, et The Lobster ne déroge pas à la règle. Dans un monde où les célibataires sont contraints de trouver l’amour dans un délai imparti sous peine de se voir transformer en animal, David cherche à entrer dans le moule avant de fureter avec un groupe dissident et avide de révolution, les solitaires. The Lobster est une farce tragique, burlesque. Alors que nous échappent quelques rires francs, on ne peut s’empêcher d’être pris aux tripes par cette critique acerbe de toutes les formes de pression sociale. Pour un premier essai en langue anglaise, avec un casting de très grande qualité – Colin Farrell, Rachel Weisz et Léa Seydoux –, Yorgos Lanthimos signe son film le plus abouti. Intelligent, malin, cruel et drôle à la fois.

Vient l’heure de rattraper le film, en compétition officielle, de Matteo Garrone : Le Conte des contes. Adaptation du Pentamerone de Giambattista Basile, un recueil du XVIIe siècle de contes populaires italiens, Le Conte des contes de Matteo Garrone est une magnifique coquille vide. Si le visuel est roi, le fond, lui, ne suit pas. Sans recul ou interprétation, sans explication du choix des 4 contes choisis, le film s’avère être une mise en image lourde et sans finesse. Le choix de la langue anglaise est contestable et les contes y perdent certainement un peu de leur charme baroque. Une déception à la hauteur du talent qui est consacré aux décors et aux costumes.

Parfois, dans le festival, certains films créent, avant même d’être montrés, le désir, l’engouement. Traditionnellement, les projections des films des frères Coen sont prises d’assaut. Ça a été le cas avec la projection de La Forêt des songes, en compétition officielle, de l’Américain Gus Van Sant. Arthur Brennan décide de mettre fin à ses jours dans la forêt d’Aokigahara, au pied du mont Fuji. Alors qu’il s’applique à réussir son overdose médicamenteuse, un homme mystérieux surgit, visiblement perdu. Les deux hommes se mettent alors à la recherche d’une sortie, mais la forêt en a décidé autrement.

Le film, pourtant très attendu, a créé un vrai malaise chez mes collègues de la presse. Alors que le générique final s’ouvrait sur des huées nourries (et injustifiées), il était évident que l’intention, aussi louable soit-elle, n’a pas été honorée. Niais, naïf, le film a tout de la carte postale japonaise destinée à un public américain moyen (on ose penser que Gus Van Sant puisse en faire partie). Elle ignore tout, ou tellement, de la culture du pays, elle admire mais sans pousser la curiosité au-delà des apparences. Le résultat est un film prompt à créer le malaise, porté sur les clins d’œil appuyés et gênants et l’émotion surjouée de Matthew McConaughey.

Pour clore cette journée passée quasiment intégralement dans les salles, je me tourne vers The Shameless, polar coréen d’Oh Seung-uk. Le film suit une affaire qui va créer un vrai cas de conscience chez un jeune flic talentueux. C’est une réflexion sur la limite entre bien et mal, entre criminel et bras armé de la justice. Pas forcément subtil mais rondement mené, le film d’Oh Seung-uk fait découvrir le visage sombre de la Corée urbaine, avec ses manigances industrielo-financières, sa mafia, sa police corrompue, et puis le milieu de la nuit et des bars à hôtesses en banlieue de Séoul. Le rythme est soutenu, même si le propos est attendu.

4 films, exactement ce qu’on s’attend à voir dans une bonne journée à Cannes, les meilleures sont à 5 ou 6. Au-delà, le corps ne suit plus et le planning des projections n’est pas tellement fait pour. Il faut continuer à apprécier d’entrer dans la salle, frissonner en entendant la petite musique du festival, sourire aux applaudissements des producteurs quand apparaît leur logo sur l’écran, et puis vibrer d’enthousiasme, de colère ou d’ennui. Tout sauf rester indifférent et, pire, fermer les yeux sur cette opportunité unique d’être dans les premiers au monde à découvrir un film. Parfois, avoir seulement l’opportunité de découvrir le film, qui ne sortira pas sur nos écrans. À 4 films par jour, c’est une chance qu’on mesure. Celle de vivre en marge du monde, tout en étant au cœur de lui, et voyager en Angleterre, en Italie, au Japon, en Corée en un battement de cils. On apprend à laisser passer l’actualité, à laisser vivre le monde, tout en étant convaincu d’être désormais à même de mieux le comprendre.

Lucile Bellan 

[Image 2015 © Lucile Bellan]

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