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Tetro, un petit bijou de Francis Ford Coppola

25 novembre 2009
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Un choc, une rencontre

Francis Ford Coppola, dinosaure du cinéma américain s’il en est, signe en 2009, un film pudique, prégnant et introspectif. Il engouffre le spectateur dans une contrée d’Argentine au charme latino-américain archaïque et débridé. C’est dans cette carte postale sépia qu’est venu s’exiler Tetro. Cet homme grognard et mystérieux y a fuit un passé encombrant et y a trouvé l’amour en la belle et gracieuse Miranda ; laissant derrière lui, dix ans plus tôt, son petit frère Bennie. A l’aube de ses dix-huit ans, Bennie s’invite dans la nouvelle vie de son aîné, en quête de son histoire familiale et personnelle, et pour renouer avec celui qui l’a lâchement abandonné sans plus jamais se retourner. Si Miranda montre un chaleureux accueil au jeune et candide Bennie, Tetro se laisse difficilement apprivoiser par celui qui vient inopinément remuer les passages obscurs de sa vie. L’arrivée du jeune garçon réveille les peurs et les blessures enfouies de Tetro, et suscite la curiosité de sa nouvelle famille de cœur qui ignore tout de ses antécédents, à commencer par sa conjointe, son amour inconditionnel et thérapeutique. C’est le début des réminiscences, de la percée de secrets trop lourds à porter, des imbroglios de sentiments. Tetro raconte le choc frontal entre la vigueur de Bennie à se construire une histoire et la résistance obtuse de son frère à réprimer les affres du passé. Francis Ford Coppola traite le sujet de la filiation avec une justesse impeccable et déroutante de sincérité.

tetro_13Un film placide et éblouissant

Le fond et la forme s’associent pour un rendu lumineux et saturé visuellement percutant en écho à la retenue et à la colère ambiante. La beauté des êtres et leurs tourments sont révélés par un noir et blanc fait d’intenses contrastes. Les jeux de lumières favorisent des blancs aveuglants, et des clair-obscurs saisissants. Coppola met ainsi en scène le présent, et revient sur les souvenirs de Tetro avec des couleurs qui apparaissent écoeurantes, lourdes, renversant habilement les codes. L’imagination de Bennie, les scènes fantasmées du passé, apparaissent comme des images de synthèse en rupture totale avec l’esthétisme alambiqué de l’intrigue. L’imagerie de ce long-métrage relève d’une extrême élégance et d’une nonchalance déroutante. Le réalisme des sentiments est sibyllin, l’émotion justement dosée, et chaque personnage cultive un mystère avec pudeur. Mais en chacun réside une chose imperceptible, vaporeuse et pesante qui plane dans l’air. Les protagonistes, Tetro, Bennie et Miranda, portent à bout de bras cette ambiance haletante et sourde. Vincent Gallo campe un Tetro criant de vérité en écorché vif cyclothymique sous le poids d’un lourd fardeau et du traumatisme. Doué d’une présence sans effets de manches, Alden Ehrenreich remplie avec brio sa tâche de cadet dans ce premier grand rôle de cinéma, il est la jeunesse, la fraîcheur, la fougue. Un physique et une aura hors du temps – qui n’est pas sans rappeler des allures de Marlon Brando – font de lui de lui le miroir subversif de Tetro. Tous deux forment un duo électrique et solaire, que vient tempérer la radieuse Miranda, éponge de leurs vertiges. L’actrice espagnol Maribel Verdù, incarne la fragilité et la poigne avec une féminité ibérique, comme si elle connaissait le secret de l’amour, portant en elle tous les extrêmes de ce sentiment sensible.

Un supplément d’âme

Buenos Aires, son quartier de La Boca, San Telmo sont les décors neutres de cette épopée introspective dont les secrets auraient dû rester à New-York. Et pourtant le retour aux sources n’y est guère que symbolique, la famille de Tetro et Bennie est originaire de la capitale argentine. La boucle est bouclée. L’atmosphère chaloupée de cette Argentine, terre d’accueil de Tetro, rend toute sa dimension indolente et passionnée à la narration. Francis Ford Coppola livre un film inspiré, le choix de l’Argentine, les références culturelles, les univers artistiques contribuent à l’identité singulière de l’oeuvre. En arrière plan, on sait le père de Tetro et Bennie chef d’orchestre de grande renommée, mégalo et malveillant, il semble être l’origine du désordre familial et des troubles qui en résultent. Le rapport à la littérature des deux fils vient comme l’exutoire de ces souffrances. Tetro, écrivain refoulé est devenu éclairagiste dans le théâtre fantaisiste d’un ami. Bennie tient en héritage cette fibre et renoue avec les textes de son aîné jusqu’à monter la pièce de leur histoire. Le théâtre est le refrain de nombreuses symboliques, la scène des démêlés, le leitmotiv de Coppélia, les images désuètes, la danse… Tous les personnages satellites appartiennent à cette caste artistique, avec leurs exubérances et leurs frasques. L’influente critique littéraire Alone, autrefois mentor de Tetro, aujourd’hui son ennemi, caricature d’une diva autoritaire est la figure de l’intelligentsia argentine dans laquelle évolue l’histoire. Sur fond de folie, de névroses, d’expressions artistiques fumeuses, de talents évanouis, d’ombre patriarcale, de fraternité sinueuse, de quête de vérité, se dessine une théâtralité grinçante.

Francis Ford Coppola réalise un film nerveux, d’une classe folle. Les bleus à l’âme et l’hypersensibilité de Tetro, captif d’une histoire hasardeuse, sont subtilement négociés par Vincent Gallo. L’intimité du secret de famille plongé dans une agitation quasi folklorique insuffle au scénario une dramaturgie jubilatoire. Éblouissant au propre comme au figuré, le dernier Coppola est un petit bijou !

Hélène Martinez

 

 

Sortie le 23 décembre 2009

Réalisé par Francis Ford Coppola
Avec Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdu, Klaus Maria Brandauer, Carmen Maura, Rodrigo de la Serna, Leticia Bredice, Mike Amigorena, Sofia Castiglione, Érica Rivas.

Durée : 2h07

 

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