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American Sniper ou le Revers de la Légende

25 février 2015
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American Sniper

De Clint Eastwood

Avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes, Jake McDorman.

Durée : 135 min.

Sortie le 18 février 2015

Sortie le 18 février 2015

Clint Eastwood imprime sur grand écran la légende d’un foudre de guerre pas si infaillible que ce qu’il aurait aimé croire. Un film qui comportait de bonnes idées, mais ne va pas au bout de ses promesses.

« Quand la légende surpasse la réalité, imprimez la légende ». Ainsi s’achevait un film lui-même légendaire, L’Homme Qui Tua Liberty Valence, western déjà crépusculaire de John Ford. Clint Eastwood, dont le cinéma n’est d’ailleurs pas dénué de points communs avec celui de Ford, semble avoir bien retenu cette leçon. Il fait donc de Chris ‘The Legend’ Kyle, un héros au sens mythique du terme ; un personnage mû par une quête quasi-divine, jouet de la fatalité au cœur d’une bataille qui le dépasse ; et dont l’initiation implique une odyssée émaillée d’obstacles symboliques, physiques et moraux.

A l’origine des velléités guerrières de ce Chris Kyle, il y a donc la parabole enseignée par son père lors de dîners familiaux peu conviviaux. Dans la vie, il y a les moutons, les chiens de bergers et les loups, martèle le père. Et dans cette famille, il n’y a pas de place pour les moutons. Encore moins pour les loups. Très jeune, ‘The Legend’ se pense donc investi d’une mission sacrée : protéger son prochain. Mais dans l’étrange genèse narrée par le sévère patriarche de la famille 527365Kyle, il existe aussi une forte symbolique du geste meurtrier. Prendre la vie est un rituel mystique, accompli lors de parties de chasses éducatives, dont Eastwood fait un usage très ambivalent en montant en parallèle chasse au cerf et tuerie d’un enfant potentiellement armé.

Aussi les attentats du 11 septembre 2001 réveillent-ils un trouble profondément inscrit dans le cœur de Kyle. Cowboy désœuvré, il croit enfin trouver le but de sa vie en s’engageant dans les NAVY Seals, un corps de tireurs d’élites de l’armée américaine. Mais une fois sur le terrain, la guerre se révèle dans toute l’ampleur sordide de sa réalité. La gâchette ne fait pas de favoritisme ; femme, enfant, terroriste, civil, peu importe ; tout ce qui semble un peu louche y passe.

Pourtant le doute n’a pas l’air d’assaillir le héros Eastwoodien. Chris ‘The Legend’ Kyle, interprété par un Bradley Cooper plus massif que jamais, vit la guerre comme un immense jeu vidéo. Un pied sur le lieu des opérations, l’autre auprès de sa 245159femme et de ses enfants, il semble vivre ces deux vies en parallèle, jamais complètement dans l’une ni dans l’autre. Et c’est sans doute la grande originalité du film d’Eastwood : c’est peut-être la première fois que l’on voit une guerre au cinéma se dérouler à la fois sur le champ de bataille et dans la vie quotidienne du guerrier, en temps réel, via un simple téléphone cellulaire. Un combat vécu en direct par l’épouse enceinte du héros au bout du fil est alors probablement l’une des scènes les plus marquantes d’un film… qui en manque.

Car le principal problème de cet American Sniper est qu’Eastwood lui-même ne semble pas vraiment savoir où il veut en venir, comme s’il n’avait pas réussi à prendre clairement son parti entre le film patriotico-manichéen auquel le sujet se prête un peu trop ; et la critique du237268 traumatisme de guerre qui fut si bien traitée dans le cinéma post-Vietnam. Les scènes dans lesquelles Eastwood laisse affleurer le doute de son héros, autrement comme taillé dans un rocher immuable, sont pourtant les plus réussies. Ainsi, se distinguent des retrouvailles troublantes avec un frère terrifié et désabusé ; et une rencontre décalée avec un vétéran admiratif qui embarrasse le foudre de guerre, peu disert quant à ses exploits épiques. L’incompréhension, l’inadaptation du héros à rejoindre la vie réelle amorcent des possibilités de réflexion plus profondes qui, hélas, ne sont jamais vraiment exploitées. Et le film reste tristement à la surface de la psyché de la « Légende », effleurant son sujet sans jamais l’atteindre.

De plus Eastwood ne s’évite pas quelques facilités scénaristiques, comme la crise du couple séparé par la guerre, en outre émaillé d’une scène ridicule dans laquelle un bébé en plastique ( !) pleure si artificiellement que le tout en devient comique. Mais surtout, il néglige l’une des pistes les plus intéressantes d’un film globalement trop 240823lisse : la possibilité du duel qui oppose le sniper américain et son rival, un mercenaire tireur d’élite appelé « Mustafa ». De ce personnage, qui aurait pu faire office de contrepoint, de négatif, de mise en abîme, de revers de la médaille qu’incarne Kyle, on ne saura rien. Certes, le procédé avait déjà été utilisé par Jean-Jacques Annaud dans Stalingrad. Mais ici, point de vision de la guerre dans la bataille intime de deux rivaux ; seul le point de vue de Kyle est présenté ; seul le « Sniper Américain » se voit pourvu d’une épaisseur émotionnelle et psychologique. Mustafa n’est qu’une ombre, dans le fond, vite fondue au noir.

Si bien que lorsque les lumières se rallument, ne reste qu’un vague sentiment d’inaboutissement qui laisse franchement perplexe. Le problème est peut-être qu’à trop vouloir imprimer la légende, le risque est de mentir plus ou moins malgré soi. Après tout, le même mot grec a donné à la fois « mythe » et « mensonge ».

Raphaëlle Chargois

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[Crédits Photos : American Sniper, ©Warner Bros, 2014.]

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