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Poulet aux prunes – film avec Mathieu Amalric et Edouard Baer

14 novembre 2011
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Poulet aux prunes

C’est dans l’Iran du Shah, quelques années avant la révolution islamique, que nous convient Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud afin de déguster ce Poulet aux Prunes. Cependant, cette fois, le duo ne nous en raconte pas l’Histoire ; les bédéistes ont choisi la forme du conte pour nous narrer le destin d’un virtuose au cœur et au violon brisés. Nasser Ali Khan, le plus grand musicien de son temps, a perdu le goût de vivre depuis que, dans un accès de colère, son épouse a jeté à terre le seul instrument capable de lui procurer le plaisir de jouer. Résigné, il décide d’attendre au lit qu’Azraël, l’Ange de la Mort, l’emporte. Au fil des jours, à mesure que sa vie se dissipe, il songe à l’amour passé qui l’a guidée ; le futur de ses enfants est dévoilé ; le présent s’échappe.

Ce qui rend Poulet Aux Prunes si savoureux, c’est justement ce mélange de temporalités, qui imprègne non seulement le récit mais aussi l’image, le film parvenant à concilier aspect graphique et prises de vue réelles, décors en carton-pâte et acteurs de chair et de sang. De ce fait, coexistent à l’écran une esthétique proche de celle du dessin animé — forme que l’on aurait d’ailleurs plus volontiers attendue de la part des réalisateurs —, et une représentation plus purement cinématographique, faisant parfois référence à des périodes précises de l’histoire du septième art (le film muet, par exemple). C’est un pari plutôt malin, car au fond, le problème de la transposition, d’une forme d’art à l’autre, est bien souvent celui de la temporalité : du temps du récit de la BD à celui du cinéma il y aurait eu un monde. L’avantage de Poulet Aux Prunes consiste donc dans cette hybridation formelle, surprenante solution de conciliation entre deux univers graphiques a priori opposés.

Si cela fonctionne, c’est aussi grâce au travail tout en clair-obscur de la lumière, celle-ci venant savamment redessiner le visage d’acteurs qui l’ont assimilée pour en faire la matière première d’une interprétation plus expressive. Ainsi, dès la première séquence du film, le regard agrandi de Matthieu Amalric, qui vient d’interpeller une passante, transperce le spectateur. Le personnage le plus délectable, le plus surprenant et le plus pictural de ce conte à dévorer, c’est toutefois Edouard Baer qui le détient. (Mais afin de ne pas gâcher le plaisir du spectateur, nous n’en dirons pas plus !)

Ce conte fantasque déconcerte alors autant qu’il charme. De splendides métaphores visuelles en renforcent la poésie, comme dans cette magnifique séquence où l’autoritaire mais affectueuse mère de Nasser Ali Khan s’éteint dans un dernier souffle de cigarette, son âme emportée dans un nuage de fumée, au son du violon. Violon auquel Renaud Capuçon prête en réalité son talentueux archet, et il faut ajouter que l’écouter n’est pas le moindre des plaisirs que procure le film.
Au confluent des temporalités, l’histoire de Nasser Ali Khan doit pourtant s’achever sur la plus ultime de toutes : la mort, au huitième jour. En dépit de cette fatalité, dont il n’est pas fait mystère, le film est très drôle. Une amusante séquence entièrement animée, se déroulant à l’époque du règne de Salomon, vient illustrer cette idée qu’il n’existe pas d’échappatoire, mais que ce n’est pas si grave.

Le talent de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, c’est donc d’avoir su concocter ce Poulet Aux Prunes avec des ingrédients qui auraient facilement pu le rendre indigeste à force de grandiloquence ; l’Eros, le Thanatos et l’Art ; mais en parvenant toutefois à en préserver la légèreté grâce à cette indispensable épice : l’humour.

Raphaëlle Chargois


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Poulet Aux Prunes

De Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud

Avec Matthieu Amalric, Maria de Medeiros, Golshifteh Farahani, Chiara Mastroiani et Edouard Baer.

Sortie le 26 octobre 2011

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