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Cachafaz – Opéra comique

16 décembre 2010
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Cachafaz

Montevideo, Uruguay, 1920. Dans un Conventillo (habitation extrêmement pauvre peuplée, d’immigrés d’Europe), le métis Cachafaz vit avec Raulito, travesti amoureux transi détesté de ses voisins. Suite à une altercation avec un policier, les deux amants vont devenir complices en tuant celui-ci. Une opportunité en or pour pouvoir enfin survivre et nourrir les habitants de ce petit couvent… Cette histoire de cannibalisme peut en déconcerter plus d’un. Ajoutez a cela un langage cru et vulgaire (en langue espagnole toutefois), quelques scènes sévères et écœurantes (odeur factice de viandes humaines cuites) et vous obtenez un opéra qui a tous les atouts pour bousculer le bourgeois habitué au classicisme d’un Puccini, d’un Mozart, d’un Wagner ou d’un Verdi. Et pourtant, la sauce prend ! Le travail accompli par Oscar Strasnoy et Benjamin Lazar sur une pièce en octosyllabe de Copi (alias Raul Damonte) offre assez de recul, d’ironie et d’absurdité pour faire adhérer le spectateur, remettre en question sa personne ainsi que sa place dans la société. Cachafaz est le premier opéra cannibale assumé dans toute sa splendeur.


Mixture sonore

Adopter Copi n’est pas chose aisée. Pour cela, Oscar Stranoy a essayé de retranscrire dans sa partition l’état d’esprit qui réside dans les pièces de l’écrivain mort du sida en 1987. Cela donne une composition remplie de références musicales, bouillonnante d’inventivité. Les paroles fusent et l’on peut entendre par exemple certains passages parodiques de Don Giovanni (dont l’air du catalogue de Leporello sert de prétexte à compter ici le nombre de fois, de cuisses, d’intestins humains vendus à la collectivité) et surtout une version Cachafaz_-_operacontemporaine inouïe de l’ouverture de la “Force du Destin” de Verdi (l’ensemble 2E2M semble s’en donner a cœur joie grâce ses instruments telles que guitare électrique, orgue hammond, trombone et percussions). Ces références n’auraient pas leur impact sans la présence massive d’une poésie sonore issue de la rythmique propre au tango, à la milanga et à la payada. Si la composition peut s’avérer par moment difficile d’accès, répétitive et trop remplie de clins d’œil, elle n’enlève rien à la force qui en émane.


De Lully a Copi

Avec Cachafaz, Benjamin Lazar passe du coq à l’âne. Ceux qui étaient habitués à ses mises en scènes baroques du Bourgeois Gentilhomme et de Cadmus et Hermione de Lully, seront probablement surpris du bond en avant effectué. Après tout, c’est par la diversification que l’on reconnaît les artistes talentueux. Bien que l’action se passe au début du siècle, Lazar a souhaité l’ancrer en partie de nos jours en conviant le public à faire intrinsèquement parti de l’histoire. Cela se passe par le biais du chœur de chambre des Cris de Paris qui prend place sur scène avant même le début de l’opéra en se faisant passer par de simples spectateurs ou par des jeux de lumières qui éclairent la salle entière. Pour Lazar, ce conventillo n’est autre qu’un repère de zombies assoiffés de sang et de corps humains. Romero se serait senti à son aise tandis que les plus jeunes auraient l’impression de se sentir en quarantaine comme dans le film Rec de Paco Plaza et Jaume Balaguero. Ainsi, si le travesti Raoulito apparaît d’outre tombe avec un bras sortant du ventre de la terre lors de son arrivée sur scène, ce n’est pas inopiné. La référence à Almodovar est évidente et nécessaire à mentionner. Du côté des chanteurs, le ténor Marc Mauillon offre un vrai rôle de composition et impressionne en campant ce travesti qu’il vit littéralement sur scène. A ses côtés, Lisandro Abadie, plus effacé, touche par la bonté qui se cache derrière sa dureté. Leur présence doit beaucoup au succès de cette création, improbablement acclamé par un public senior au look tendance classique. Cela ne peut être qu’un bon signe !

Cachafaz en offre pour tous les goûts. On pourra être choqué ou non mais cette histoire de cannibalisme rassemble plus que ne sépare. A découvrir le 11 janvier prochain a la maison de la culture de Bourges et le 20 janvier à l’opéra theatre de Saint-Etienne.

Edouard Brane

 

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