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Les rustres, fine distraction

29 novembre 2015
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rus.1

Les rustres

De Carlo Goldoni

Mise en scène de  Jean-Louis Benoit

Avec Gérard Giroudon, Bruno Raffaelli, Coraly Zahonero, Céline Samie, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Christophe Montenez et Rebecca Marder

Jusqu’au 10 janvier 2016

Du mercredi au samedi à 20h30
Le mardi à 19h, Le dimanche 15h

Tarifs : de 9€ à 31€

Durée : 2h

Théâtre du Vieux-Colombier
21, rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
M° Saint-Sulpice

www. comedie-francaise.fr

Jusqu’au 10 janvier 2016

En trois actes, Carlo Goldoni dénonce sur le ton de la comédie l’asservissement des femmes chez les commerçants petits bourgeois de Venise au XVIIIe siècle. Très osée pour l’époque, cette satire menée brillamment par les acteurs de la Comédie Française garde pour notre plus grand plaisir son sens comique.

Le metteur en scène Jean-Louis Benoit restitue le confinement des femmes à la maison, où n’entre péniblement qu’une lumière crépusculaire. Leur étouffement par des maris goujats se traduit tantôt en la demeure de Lunardo où son épouse et sa fille travaillent la laine dans la pénombre, tantôt dans la cuisine de Marina dont seules les casseroles font décor, tandis que des changements de scène s’effectuent par un lourd rideau métallique descendu à la manivelle par les comédiens eux-mêmes, toujours à l’affût d’une nouvelle idée pour enfermer leurs épouses. Ainsi gardée dans un intérieur prison, Lucietta, la fille de Lunardo, apprend par des femmes censées tenir le secret, qu’elle va être mariée par son père sans avoir son mot à dire. C’en est trop. Non seulement les femmes sont privées de tout amusement alors que dehors se prépare le Carnaval, mais en plus il faudrait être tenues à l’écart d’un mariage arrangé. Commence alors leur révolte. Elles montent un stratagème pour que les jeunes fiancés malgré eux se rencontrent avant que soit scellée leur union.

ok tusL’affrontement entre maris et épouses va donner lieu à de joyeuses rixes, où volent menaces et diatribes. Les dialogues de Goldoni sont particulièrement audacieux pour l’époque, ridiculisant les pères et maris qui infériorisent les femmes puis donnant la parole aux épouses dont les revendications légitimes s’énoncent avec charme, intelligence et courage. L’auteur bouscule avec brio le lourd patriarcat qui organise la vie sociale de son temps, il fait preuve également d’une délicate psychologie en évitant le manichéisme, laissant affleurer la complexité des hommes, leur pointe de désarroi parfois. Acéré et fin sociologue, à rebours de son environnement, Goldoni va jusqu’à démontrer la capacité d’analyse des femmes à travers le personnage de Felice, qui en impose par son raisonnement sans pour autant perdre un iota de sa séduisante féminité, ce qui est dans le contexte dangereusement effronté, une femme ne pouvant avoir un cerveau derrière ses atours.

Jean-Louis Benoit prend le parti de faire ressortir les qualités textuelles et la fine découpe des personnages. Tout comme Goldoni se différenciait de la commedia dell’arte par le respect de l’écrit, le metteur en scène s’empare de la pièce sans la caricaturer ni lui surajouter d’effets scéniques. On rit franchement de ces situations d’intolérance misogyne et de ces hommes réactionnaires. Ceux-ci, en brutes stupides, nous amusent follement et Christian Hecq est un formidable Lunardo, entouré savoureusement de Gérard Giroudon et Bruno Raffaelli. En face de ces mâles si terrifiants de bêtise qu’ils en sont cocasses, les femmes ont une partition de jolies rusées, espiègles douées et merveilleusement inventives, avec Coralie Zahonero, Céline Samie et Clotilde De Bayser, la plus sérieuse de toutes dont la plaidoirie finale est pour le XVIIIe siècle d’une grande hardiesse.

En cela Goldoni est très justement mis en scène, car c’est bel et bien un immense auteur qui a utilisé superbement la machine théâtrale pour dérouiller le carcan de son temps et éclairer les esprits. Néanmoins, ces railleries aussi impudentes soient-elles et bien que toujours d’actualité, n’ont aujourd’hui pas le même poids ni la même hardiesse. On ne peut pas s’effaroucher ni s’amuser du propos autant qu’il y a deux siècles, on aurait donc volontiers accepté quelques folies supplémentaires pour ajouter du rire, telles les gesticulations irrésistibles de Lunardo. A noter que dans cette ambiance impeccablement enlevée et festive autour de ce petit chef d’œuvre de la comédie, la jeune fille malmenée par son père est interprétée délicieusement par Rebecca Marder qui vient de fort bien réussir son entrée à la Comédie Française.

Emilie Darlier

[ Photos : ©Christophe Raynaud De Lage]

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