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Festen : une descente dans les enfers de la famille

Hélène Kuttner 28 novembre 2017
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Par un très heureux mariage entre théâtre et cinéma, le metteur en scène Cyril Teste parvient à faire revivre « Festen », le film culte du danois Thomas Vinterbeg. Une famille se réunit pour l’anniversaire du père alors que le fils prodigue, Christian, revient de Paris pour faire éclater un terrible secret. Filmée, mixée et montée en direct, de manière très fluide, la pièce révèle les failles de tous les secrets cousus avec le sang des protagonistes.

 

© Simon Gosselin

Derrière les apparences

La scénographie est somptueuse, monumentale. Une longue table d’apparat nappée de blanc est dressée au centre de la scène, dans la perspective du salon qui ouvre au fond sur l’entrée de la maison. Bouquets de fleurs et exhalaisons parfumées, duo de serveuses à la taille de guêpe qui s’activent, en talons aiguilles et jupe moulante, à servir les convives de ce repas fatal. Pour l’instant, alors que les spectateurs sont plongés dans le noir, les invités arrivent, discutent, plaisantent, et leur arrivée se traduit par des allées et venues du fond de la scène, en coulisse, qui sont filmées intégralement et retransmises simultanément. Ceux qui ont vu le film de Vinterberg savent que la soirée sera une descente aux enfers de la famille, et que c’est Christian, celui qui est parti loin, à Paris, et qui revient pour les 60 ans de son père, qui va parler et provoquer le drame que personne ne veut percevoir.

Blessures d’enfance

Christian, interprété de manière saisissante par Mathias Labelle, retrouve donc sa mère Else (Catherine Morlot) son père Helge (Hervé Blanc) ainsi que sa grande soeur Hélène (Sophie Cattani) et son frère Michaël, violent et raciste, joué par Anthony Paliotti. Tous les trois naviguent depuis des années dans les eaux troubles, rendues irrespirables depuis le suicide de Linda, la soeur jumelle de Christian, et dont il continue de rêver jour et nuit. La vidéo est de ce point de vue passionnante ici car elle révèle le hors-champs de la conscience, une conscience sous-terraine, un inconscient fantasmé qui se révèle subitement à l’image, comme si on perçait l’opacité d’une eau trouble. Linda apparait donc à Christian, alors même qu’il fixe Pia, la bonne (Bénédicte Guilbert) dont le corps et le visage se superposent à ceux de sa soeur jumelle. Les deux caméras organisent une véritable chorégraphie des corps dans les espaces de scène, boites ouvertes qui sont la cuisine, la salle de bain, la chambre, le bureau.

© Simon Gosselin

L’inceste

La révélation provoque très peu d’effets au départ, car il n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La bombe est à retardement, et Christian, celui qui ne peut se départir du souvenir de sa soeur jumelle suicidée il y a un an, tambourine avec détails ce souvenir d’enfance face à une mère incrédule et hypocrite, et à un père qui réapparaitra ensuite nu, dans une baignoire, fouetté à sang par son fils Michaël. L’image devient soudain crue, insoutenable. Pour évoquer l’intime, Cyril Teste choisit de respecter le Dogme95 de Vinterberg et de Lars von Trier, c’est à dire d’aller à l’essentiel d’une prise de vue à l’épaule, sans artifice, au plus près du réel des scènes. Cela donne des plans larges puis des gros plans soudain, non pas pour guider notre propre conscience, mais pour multiplier les axes et nous offrir une vision plurielle des faits. La musique, elle, s’immisce en beauté et tisse avec les images de beaux moments. C’est la « performance filmique » que Cyril Teste et le Collectif MxM poursuivent depuis quelques années autour des écritures contemporaines.

Une esthétique de la révélation

Théâtre, cinéma, hors champs, plans larges ou rapprochés, musique originale, cette production ambitieuse, portée par une solide équipe de comédiens totalement impliqués dans le processus de création, parvient à faire le lien entre tous les corps de métier et les différents savoirs d’un plateau. La lumière de Julien Boizard, la cuisine préparée en direct (Olivier Théron), la régie vidéo (Mehdi Toutain-Lopez et Claire Roygnan) agissent comme les révélateurs d’un cliché qui prend le temps de la clarté. Et la colère de Christian, ses accès de folie et de fièvre, sont bien le prix à payer pour être finalement en paix avec lui-même, comme une victime consentante se transforme plus tard en procureur dans sa propre histoire.

Hélène Kuttner

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