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Philoctète – Théâtre de l’Odéon

8 octobre 2009
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La guerre de Troie n’aura pas lieu sans lui


Fidèle compagnon d’Héraclès, dont il reçut l’arc et les flèches mais dont il trahit la confiance en transgressant sa promesse, Philoctète, exposé à la disgrâce céleste, est un être déchu que tous, hommes et dieux, ont abandonné. Infesté au pied par la morsure d’un serpent venimeux au cours de l’expédition menée par les Grecs contre Troie, Philoctète, empestant la souillure et suintant la colère des dieux, est débarqué sur l’île de Lemnos. Neuf ans d’isolement et de désolation pour ce phénix du désert maudit des dieux. Héros errant gangrené jusqu’à l’os, ressassant son ressentiment dans le cycle infernal du retour de la douleur, Philoctète n’a rien à envier à Prométhée, Tantale ou Sisyphe. Eternel supplicié de l’absurde ruminant seul dans son trou l’esprit beckettien, Philoctète attend Godot.


Le sort oblique frappant toujours de biais, Terzieff courbé, le profil giacomettien, creuse ses traits, casse le corps et accuse le coup. L’existence esseulée de l’homme qui chavire bascule enfin le jour où la prophétie annonce à l’armée grecque sa destinée : pas de victoire sans l’arc sacré. Par peur de se salir de nouveau en souillant sa réputation de héros, Ulysse – qui a déjà les mains sales de l’exil forcé auquel il a lâchement voué le pestiféré – dépêche Néoptolème, fils d’Achille, auprès de ce damné des dieux transfiguré en sauveur des hommes.


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Du fond de son caveau, enterré vivant par les siens, Philoctète apostrophant les étrangers dans le contre-chant du martyr, mendiant ne serait-ce qu’un mot – « Parlez-moi que j’entende enfin une langue humaine » implore-t-il les mains jointes et la gorge serrée – , tâtonnant comme une bête sauvage dans l’ombre du silence, n’espérait plus un jour, renaître à la parole, lui que le peuple grec avait condamné à ravaler sa langue. Tergiversant d’une octave à l’autre, le râle de Terzieff mime la mue. Le corps sec comme l’arc qu’il tient encore entre ses mains, la silhouette décharnée pliant sous le poids de la destinée, l’homme bancal, piétine sa piété : « Comment respecter des dieux qui se font les complices du mal ? » À ce vaste soulèvement métaphysique, la voie tragique répondra pour lui.


Hors champ


Dressé devant nous, un impressionnant rideau de fer, barrant aux autres acteurs l’accès à la scène et refoulant le paria à part. De part et d’autre de la salle, le long des rangs, les hommes d’Ulysse, armés de leurs boucliers, s’avancent. Immobilisés face à l’œuvre du temps qui a fait de l’un des leurs la grande inconnue de l’équation tragique, les guerriers, interdits et fébriles, sont comme suspendus à l’imminence de la manifestation. Suspendus… ou simplement statiques. L’extrême sobriété de la mise en scène de Schiaretti sacrifie l’évidence au doute. L’imposant dispositif scénique saturant presque intégralement l’aire de jeu des acteurs – abandonnant du reste Philoctète à son île et Terzieff à son rôle – relègue le reste de la troupe au second plan, celui des figurants.


Si, en dernière instance, Schiaretti ménage pour seul effet scénique un deus ex machina répondant ultimement, dans un tableau mi-kitsch mi-poétique, à l’attente impatiente d’une épiphanie du divin soldant le compte tragique, Laurent Terzieff, à lui seul et sans effet, suffit à combler l’espace scénique du champ de sa présence intensément magnétique. En rejet de la scène, déchus au rang de simples spectateurs, les guerriers de l’armée conduite par Ulysse ne sont pas les seuls à guetter le grand absent : resserrant le temps de la représentation qui se joue pour nous sur la temporalité du drame qui se déroule devant nous, l’apparition du divin Terzieff, hiératique, éclipse à elle seule toute autre espèce de manifestation. Héros de la solitude en acte plus qu’en puissance, mettant le spectacle en abîme, l’acteur fait le vide tout autour de lui. Spectaculaire. Laurent Terzieff est Philoctète.


Difficile à l’avenir d’envisager un autre Philoctète que celui qu’incarne au-delà de toute raison théâtrale le majestueux Laurent Terzieff. Difficile aujourd’hui dans la grande salle de l’Odéon pour Jean-Pierre Siméon et Christian Schiaretti de faire tenir leur édifice autrement qu’à l’appui du talent de cet homme qui chavire.


Nora Monnet



Philoctète / Variation à partir de Sophocle de Jean-Pierre Siméon
Mise en scène / Christian Schiaretti

Scénographie / Fanny Gamet
Lumière / Julia Grand
Costumes / Thibaut Welchlin
Création effets spéciaux / Kuno Schlegelmilch
Maquillages et coiffures / Claire Cohen
Conseiller littéraire / Gérald Garutti

Avec Laurent Terzieff, Johan Leysen, David Mambouch et le chœur Olivier Borle, Damien Gouy, Clément Morinière, Julien Tiphaine.

Production Théâtre National Populaire – Villeurbanne, Compagnie Laurent Terzieff avec la participation artistique de l’ENSATT et l’aide de la Région Rhône-Alpes pour l’insertion des jeunes professionnels avec le soutien du Département du Rhône avec la participation artistique du jeune théâtre national.


Du 24 septembre au 18 octobre 2009

Du mardi au samedi à 20h

Le dimanche à 15h

De 7 € à 32 €

Réservation au 01 44 85 40 40


Théâtre de l’Odéon

Place de l’Odéon 75006 Paris

Métro : Odéon
RER B: Luxembourg
Bus : 63, 87, 86, 7O, 96, 58.
Parkings : rue Soufflot, Place St Sulpice, rue de l’Ecole de Médecine.


www.theatre-odeon.fr

 

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