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Memento Mori, Vanités contemporaines – Espace des Cultures Nast à Paris

13 novembre 2009
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Icônes désincarnées et subversives, les vanités contemporaines induisent un paradoxe inaugural quant à leur rapport au temps qu’elles acquittent de sa contemporanéité… et instaurent une filiation, cathartique et féconde, entre le XVIIème et le XXIème siècle.

De sa présence frontale et muette, le crâne impose la désacralisation du Temps qui, soumis, se suspend : « vanitas vanitatum et omnia vanitas »… Métonymie de la mort, nécessaire aux vivants, l’exposition de ces crânes, originelle et singulière, offre à la rencontre de notre quotidien la dernière conjuration.

Initiatique, la vanité ainsi différemment in-carnée révèle une matière matricielle que les artistes pétrissent, caressent, enfantent… dans l’organique d’une certaine bestialité, dont ils revêtent leurs crânes. Dans une dialectique substantielle, chacune de ces oeuvres explore et malmène l’intime en s’approchant, avec beauté et virulence, du point névralgique de la mort et ce qui confère à l’immortalité : le doute.

Hiératique et fier, le crâne, qu’étreint chez nous une pulsion primitive, habite et hante ces peintures ou sculptures, comme nul autre sujet ne saurait le faire. Véritable centre de gravité, il confère un espace mi-clôt dévoilant la question, viscérale, du plein et du délié en art… dans un geste d’accomplissement.

Oxy-mort

Dans une tragique douceur, le vide, hypnotique, de ces nombreuses cavités orbitales nous observe dans la torpeur du savoir et nous attire, comme autant de trous noirs. Ces béances des crânes, ainsi exposés, portent en elles le totem de l’horror vacui. Et, nous cernent de leur regard évacué, dissimulant en elles la réponse. Celle, rassurante, d’un clin d’oeil…

D’une présence qui s’invite comme une absence, la vanité interroge ici l’éphémère et la déliquescence de la vie, que ces yeux énucléés, dans le silence de leurs maux, nous révèlent. Sans doute parce que le dernier souffle est à la frontière ultime de notre être (étymologiquement, vanité signifie souffle), ces crânes pénètrent la fragilité de nos certitudes et préfigurent notre disparition, comme une dissidence.

Impermanence de l’humain, imposture de l’être, la vanité dépeint l’obscénité du réel : notre disparition. Dès lors, les artistes se saisissent de notre angoisse, palpable, afin de s’engager dans un combat. Ultime. Dans l’utérus de leur art et la sueur de leur être, ces peintres et sculpteurs s’épanchent avec fièvre… Le germe de la vie s’inscrit, alors, dans l’oeuvre. L’aporie des vanités est sans doute d’être une oxy-mort…

L’épitaphe gravée sur la tombe de Marcel Duchamp « D’ailleurs, ce sont toujours les autres qui meurent » délivre l’acte final : en art contemporain, les vanités sont-elles des miroirs ou des autoportraits ? La question, d’urgence, se pose : To be or not to be ? Amputé de la parole, le sujet ne saurait nous répondre… mais il est exposé ici autant de vanités que de convictions.

Si d’aucuns affirment qu’en se dissolvant la chair a emmené l’esprit, au coeur de ces excavations humaines, ces sublimes vanités infirment que la pensée s’est abîmée… pour que demeure le mystère. La peinture, disait Léonard de Vinci, est une poésie qui se voit…

Sabine de Sérésin, iconographe indépendante.

Memento Mori, Vanités contemporaines

Rebecca Bournigault
Wim Delvoye
Jean Faucheur
Christophe Luxereau
Philippe Mayaux
Philippe Pasqua
Yan Pei Ming
Stefane Perraud
Tanguy Roland
Joel Peter Witkin

Du 27 novembre au 12 décembre 2009, de 11h à 20h

Espace des Cultures Nast à Paris
10, rue d’Alger
75001 Paris

[Visuel : © Vanité, par Christophe Luxereau] 
 

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