Robbins/Mats Ek – Ballet de l’Opéra de Paris
Sous un ciel bleu azur et quelques nuages blancs, cinq jeunes garçons et cinq jeunes filles se rencontrent et se détournent les uns et les autres sous fond de Mazurkas et valses de Chopin. Nous sommes dans une autre époque, celle du romantisme moderne où l’esprit de Marivaux et de ses jeux de l’amour et du hasard ne sont pas bien loin. Sur scène, les couples se font et se défont au fil des tableaux. C’est une innocence juvénile que Jérôme Robbins a chorégraphié dans ses Dances at a Gathering. Si le plateau de la scène Garnier est nu, l’imagination est bien réelle : ici un Trianon entouré d’un lac, là un kiosque au centre d’un parc fleuri.
Un certain érotisme se dégage des pas classiques des danseurs. Soudain la vue se brouille et un certain onirisme prend place. Les vêtements légers et colorés de chaque danseur se fondent dans le paysage printanier, rappelant au passage le flou artistique du photographeDavid Hamilton. Le danseur étoile fraichement nommé Josua Hoffalt ouvre la danse et la conclut d’un geste sensible en effleurant le sol de sa main. De ces quatorze tableaux surgit le temps passé d’une époque révolue.
Malgré son aspect désuet et quelques longueurs, la chorégraphie de Robbins bénéficie d’un charme sensuel. Elle rend compte de la fin d’une époque qui sera remplacée par celle de la culture de masse présentée en deuxième partie avec Appartement, la chorégraphie de Mats Ek créée en 2000.
Adieu, monde cruel
D’apparence, rien ne pourrait rapprocher ces deux ballets. Et pourtant, force est de constater qu’un lien les unit : celui du temps et del’usure. Dans Appartement, la femme n’est plus cet ange rêvé, mais une ménagère frustrée, délaissée par les hommes, comme on peut les apercevoir dans les sculptures de l’américain Duane Hanson. La vie de couple n’est plus qu’un cauchemar éveillé qui s’exprime par de violents cris et une plastique corporelle liée au désarroi. Le suédois Mats Ek porte comme à son habitude un regard cruel sur notre société. Un bidet usé, un enfant brulé, une porte fermée sont autant d’éléments exprimant violemment l’enfermement de chacun et l’absence de communication.
Un humour noir (et nordique) ressort de la gestuelle des danseurs, aussi bien dans leurs mouvements synchronisés de groupe (Marche des aspirateurs, La salle de bain) que dans leur pas de deux (La cuisine, Duo des embryons). La musique du groupe Fleshquartet est elle-même porteuse d’ironie, celle-ci même que l’on retrouve dans le tableau La télévision qui rappelle les chorégraphies d’un James Thierrée dans sa Veillée des abysses. Sa ressemblance avec le danseur Jérémie Bélingard est d’ailleurs quelque peu trouble, lui qui est entouré sur scène d’une pluie d’Étoiles sublimes parmi lesquelles Marie-Agnès Gillot, José Martinez, Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche. On pourrait même croire qu’Alice Renavand en fait partie, ce qui pourrait bien arriver un jour prochain. Malgré ses immenses copies de rideau de scène de l’Opéra Garnier, il ne fait pas bon vivre dans cet Appartement qui nous est pourtant si familier.
Edouard Brane (Twitter: Cinedouard)
Dances at a gathering / Appartement
Durée du spectacle : 2h10 avec un entracte
Prix des places : 9, 12, 25, 47, 70, 92 euros
Opéra Garnier
10, rue Halévy
75009 Paris
M° Opéra
www.operadeparis.fr
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