0 Shares 902 Views

Dramuscules – Théâtre de Poche-Montparnasse

11 décembre 2013
902 Vues
Dramuscules - Théâtre de Poche-Montparnasse

Ces saynètes ont été écrites en 1988, soit un an avant la mort de l’auteur. Celui-ci y concentre tout son art de la critique au vitriol et son sens de l’attaque à coups de griffes. On y retrouve sa dénonciation de l’ambiance qui règne en Autriche et qu’il a constamment fustigée dans son œuvre et sa vie. Le petit fascisme rampant du quotidien, les horreurs banales déversées par monsieur ou madame Tout-le-monde, la haine diffusée sous des airs de pas-y-toucher, bref, les innombrables cruautés aux allures anodines sont à nouveau épinglées et démasquées. L’auteur autrichien a régulièrement provoqué ses concitoyens et leurs représentants, les traitant sans ménagement et sans relâche. On pourrait croire qu’en 1988, les esprits étaient apaisés et pacifiés, mais c’est pourtant bien à nouveau les personnages lambda que Thomas Bernhard voient comme étant aussi dangereux et primaires qu’ils l’étaient dans les heures les plus sombres de l’histoire.

Catherine Salviat et Judith Magre sont ici les deux braves femmes aux apparences inoffensives qui regorgent de haine profonde liée à la peur. Dans Un mort, elles sont des commères dévotes qui portent un béret et un tailleur strict. Rentrant chez elles après le rosaire du soir, elles croient découvrir dans la pénombre un cadavre qui est en réalité un tas d’affiches roulées, affiches aux croix gammées perdues par des militants sur la route. Dans Le mois de Marie, à la sortie de la messe dominicale, elles évoquent leur voisin récemment décédé suite à un accident avec un jeune turc, qu’elle transforme en criminel sauvage sans autre forme de procès. Enfin, avec Match, une femme occupée à repasser vomit sa détestation des jeunes, tandis que son mari policier qui regarde un match de foot crie régulièrement quelques insultes du type « Pauvres cons. »

A travers elles, les citoyens ordinaires de l’Autriche moderne sont des champions de la stupidité qui insulte les jeunes, les étrangers, bref, tous les autres, tous ceux qui ne sont pas exactement semblables et qui, derrière ces vociférations, suscitent la crainte. Les comédiennes sont impeccables dans ces anecdotes glaciales et grotesques et Antony Cochin, qui tient le rôle du fossoyeur et assure la voix du mari, complète bien ces farces macabres. Le racisme banal et le besoin systématique de pourfendre autrui sont répétés et épluchés jusqu’à provoquer un rire qui devient vite grinçant, car sous les refrains empoisonnés des bigotes se profilent les fantômes de l’époque nazie. Les commérages sont aigres et les imbécilités apparemment banales porteuses des pires horreurs.

Par les temps qui courent, aller voir ce spectacle, c’est garder un regard vigilant et toujours utile. Cela avec du rire et une direction limpide. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur les effets de cette moquerie des petites gens, car le sarcasme consensuel ne dispense pas de chercher à décrypter les racines des mécanismes de la haine. Pour établir une transition entre deux pièces, la metteure en scène a imaginé un intermède qui fait penser à Questions pour un champion. Catherine Salviat, toutes lumières allumées, interroge le public avec cadeau à la clé sur des citations racistes dont on apprend qu’elles sont de De Gaulle, Roosevelt, Voltaire, ou « L’Elysée », etc. Outre une erreur qui confond Montesquieu lui-même et un de ses personnages des Lettres Persanes, cette énième dénonciation par raccourcis provocateurs, est un procédé discutable. Pointer constamment la bêtise chez l’autre, le modeste bourgeois ou l’homme puissant, sans jamais se livrer à plus d’analyse ni perspective historique, flirte avec un systématisme que l’on peut trouver d’un goût douteux.
 
Isabelle Bournat

Dramuscules

De Thomas Bernhard

Mise en scène de Catherine Hiegel

Avec Catherine Salviat, Judith Magre et Antony Cochin

Du 26 novembre au 9 mars 2013
Du mardi au samedi à 19h
Le dimanche à 17h30
Relâche les 25 décembre et 1er janvier

Tarifs : 10 à 30 euros

Réservations par tél. 01.45.44.50.21

Durée : 1h

Théâtre de Poche-Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris
M° Montparnasse

www.theatredepoche-montparnasse.com

Articles liés

“LGBT COMEDY CLUB”, le dernier né “Absolutely”, célèbre l’humour LGBT+ sous toutes ses formes !
Agenda
79 vues

“LGBT COMEDY CLUB”, le dernier né “Absolutely”, célèbre l’humour LGBT+ sous toutes ses formes !

Depuis cinq ans, les plateaux d’humour “Absolutely” mettent en lumière la nouvelle génération du rire, tous styles et âges confondus. Des spectacles éclectiques, où se côtoient le stand-up, la magie, et les sketchs à personnages… Ce vendredi, c’est avec...

Jewly, une artiste sans filtre
Agenda
192 vues

Jewly, une artiste sans filtre

Rencontre avec Jewly à l’occasion de la sortie de son nouvel album “Rebellion”. Qu’est ce qui t’a donné envie de faire de la musique et de monter sur scène ? La musique s’est plutôt imposée à moi en fait....

“Reines” : le premier long-métrage de Yasmine Benkiran au cinéma le 15 mai
Agenda
161 vues

“Reines” : le premier long-métrage de Yasmine Benkiran au cinéma le 15 mai

Casablanca, Maroc. Zineb s’évade de prison pour sauver sa fille de la garde de l’État. Mais les choses se compliquent rapidement lorsqu’elle prend en otage la conductrice d’un camion, Asma… La police aux trousses, les trois femmes se lancent...