A l’Opéra Garnier, Forsythe adopte l’électro
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Programme William Forsythe Avec le Ballet de l’Opéra de Paris Jusqu’au 16 juillet 2016 Tarifs: 25€ – 110€ Durée : 1h50 Opéra Garnier |
Le Ballet de l’Opéra de Paris clôt sa saison avec un feu d’artifice de William Forsythe, fait de trois pièces, dont une entrée au répertorie, une re-création en nouvelle mouture, et une création mondiale. Autrement dit, un duo, un quadruple pas de deux pour huit interprètes et une envolée pour corps de ballet augmenté. En millésimes: 1995-1996-2016. Entretemps, Millepied a rompu avec Garnier/Bastille, et le concentré américain paraît un peu démonstratif. Mais on peut tout aussi bien considérer Forsythe comme un chorégraphe international, même si son style inclut une bonne dose de Balanchine, finement déconstruit. La soirée à Garnier débute par « Of Any If And », un duo interprété par Eléonore Guérineau (Sujet) et Vincent Chaillet (Premier danseur) ou par une seconde distribution (Léonore Baulac/Adrien Couvez). C’est un pas de deux où chaque équilibre est des plus précaires, où l’idée même d’un pas de deux est dynamitée dans son harmonie et sa symbolique. Derrière leurs ardeurs, des accents de déchirements et de violence. Sauf qu’on sent aussi la révolte contre une esthétique de la danse, et que dans l’interprétation par deux futures vedettes de l’Opéra, la rébellion est étouffée par une éducation irréversible autant que par la Salle Garnier et les rituels de son public. A l’intérieur de cet écrin, « Of Any If And » se bat contre des moulins à vent. Mais la soirée ne fait que commencer. The place to be Cette pièce, à l’origine conçue sur du Beethoven, est ensuite passée dans l’atelier sonore de Thom Willems. Le compositeur a tenu à relooker sa propre chorégraphie musicale pour célébrer cette reprise. La partition inclut par ailleurs un véritable feu d’artifice, comme pour saluer le 14 juillet. Mais the place to be pour la traditionnelle représentation gratuite est naturellement à Bastille et la soirée sera consacrée au programme Peck/Balanchine. A Garnier, le corps forsythien trompe l’œil du spectateur comme un virtuose du foot trompe le défenseur. Les corps s’imbriquent avec véhémence jusqu’à une chute contrôlée, suite à quoi on rampe, se lève et glisse, sans jamais perdre de vue la beauté organique qui illumine « Approximate Sonata ». Car tout mouvement n’est ici qu’une proposition, et les prolongements possibles sont légion. Les étoiles et Premiers Danseurs du Ballet de l’Opéra, de Marie-Agnès Gillot à Alessio Carbone et autres Hannah O’Neill, mettent les bouchées doubles de passion et de précision. James Blake pour un corps de ballet L’environnement visuel est au beau fixe, comme les costumes bleu ciel de (presque) toute la troupe, pour un genre qui est à peu près le dernier qu’on attendait chez Forsythe: Un divertissement. Plus aucune trace des énormes éléments de décor qui ne cessent de monter et de descendre dans les pièces précédentes qui déconstruisent non seulement le ballet mais aussi le concept d’art plastique ou chromatique. Le grand metteur en question déclare que le débat est clos. La danse classique n’est plus mise en question, mais tout simplement célébrée. Et même si les ambiances plutôt mélancoliques qu’effervescentes de Blake contrastent avec l’ambiance festive et aérienne de « Blake Works I », les danseurs et le public s’enivrent de la préciosité jouissive des duos, trios, tableaux de groupe et même des unissons. L’ambiance est celle d’un cours de ballet qui se transforme en démonstration. Si Forsythe se met ici à reconstruire au lieu de déconstruire (sans toutefois introduire narration ou illustration), il ouvre un autre débat. « Blake Works I » donne l’impression qu’il a laissé, bien plus qu’auparavant, laissé les danseurs s’auto-inventer, avec énormément d’ouverture. Mais la liberté n’est pas une garantie d’originalité. Avec leur côté « laboratoire », par leurs contraintes et les questions qu’elles posent à la danse et aux interprètes, les pièces créées il y a vingt ans regorgent d’une créativité vertigineuse qu’on cherche en vain dans cette création. « Blake Works I » se boit comme une coupe de champagne, en attendant sereinement d’éventuels autres « Blake Work », sans doute tout aussi surprenants. Thomas Hahn [ Photos : © Anne Ray] |
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