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Plongée de plaisir dans les troubles de l’humanité !

9 juillet 2016
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HALLE 1BELIN Muriel. Folla ratt femella 2007 TM 18x14.5x20cm. PhotoAtelierDemoulin Abbaye dAuberive

L’esprit singulier

Jusqu’au 26 août 2016

Ouvert tous les jours de 11h à 18h ; samedi de 11h à 19h ; dimanche de 12h à 18h

Plein tarif : 8,50€
Tarif réduit : 6,50€

Halle Saint-Pierre
2, rue Ronsard
75018 Paris
M° Anvers

www.hallesaintpierre.org

Bienvenue dans un monde où se tutoient étrange, passions, fantasmes, cauchemars. Avec «Esprit singulier», La Halle Saint-Pierre ouvre la boîte de Pandore de Jean-Claude Volot. Depuis plus de 35 ans, il construit une collection où se croisent l’art brut, l’art singulier et l’art contemporain dans une ancienne abbaye cistercienne à Auberive qu’il a transformée en centre d’art. Il expose une partie de cette collection à la Halle Saint-Pierre, une véritable exploration de l’âme humaine. Nous ne pouvions que rencontrer cette homme névrosé comme il se définit, au franc parler et que rien n’arrête!

 

HALLE 2Volot Jean-Claude 070108Comment définissez-vous votre rapport à la collection ?

Pour moi, un collectionneur est d’abord un névrosé, ce que je rappelle lorsque je fais cet exercice d’autodérision dans la conférence que j’intitule : “Un collectionneur est-il un psychopathe ?”. Ceux qui deviennent psychopathes sont ceux qui perdent le contrôle d’eux-mêmes et qui se mettent en danger. Dire que c’est un sacerdoce, que c’est être militant, c’est se rassurer ; le fait générateur est la compensation d’une névrose. En ce qui me concerne, je collectionne tout ce qui me passe sous la main…

 
Votre névrose est-elle bien compensée par la collection?

Oui et à force de rencontrer des collectionneurs, je me rends compte que les mécanismes sont les mêmes pour tous : ils existent par rapport à leur collection et veulent la peaufiner, que ce soit des jouets en bois anciens, des cravates, des affiches, des céramiques populaires, des œuvres d’art… C’est à chaque fois un puzzle.

HALLE 3Est-ce qu’il arrive à un moment où ce puzzle est fini ?

Oui, ensuite il faut savoir vers quoi aller. Pour ma part, je veux internationaliser ma collection en intégrant des artistes du monde entier qui racontent tous des histoires humaines.

C’est donc ça le fil conducteur de votre collection ? L’humanité plongée dans une certaine souffrance ?

Pas uniquement la souffrance, il y a du sexe également : allez voir Hans Belmer, Pierre Molinier, Stéphane Pencréac’h ou Pierre Bettencourt et vous verrez qu’il y a de la jouissance ! Eros et Thanatos cohabitent dans ma collection.

QueHALLE DEUX Fred. Je Feu 1960 laque et encre de Chine reproduit sur livre 72x98cm atelier Demoulinls sont les piliers de votre collection ?

J’ai rapidement découvert Karel Appel qui a été une véritable passion pour moi : j’ai d’ailleurs appelé mon fils Karel en hommage à l’artiste du mouvement CoBrA qui m’intéressait également ! J’adorais le surréaliste Yves Tanguy qui racontait d’autres histoires, mais il était déjà très cher à l’époque.

Ensuite, grâce à Claude Ruffin j’ai rencontré tous ces artistes surréalistes ou dans le prolongement comme Fred Deux, Louis Pons, Philippe Dereux, tous ceux qu’on a ensuite appelé « les Singuliers ». Il y a eu pas à pas des lectures autour de Jean Dubuffet, Gaston Chaissac, et j’ai rencontré le critique d’art Laurent Danchin et l’art brut.

Ça a été ma passion sur l’hôpital de Gugging à côté de Vienne en Autriche, là où, entre les deux guerres on s’est rendu compte que des grands malades, parfois dangereux même, pouvaient être de grands créateurs. Un musée a été installé dans ce musée depuis que l’hôpital a été fermé.

 
HALLE 5SABAN Ody. Breve escale des foudres1992. technique mixte sur toile.131x131cm  atelier DemoulinVous parlez souvent de militantisme dans l’importance de montrer votre collection?

On est militant dans cette promotion de l’art des autodidactes, des oustider, des singuliers… Présenter des artistes qui ont des messages sociaux forts comme Rebeyrolle, qui racontent l’histoire comme Zoran Mušič, l’humanité individuelle comme Jean Rustin. Je parle de militantisme car cela touche à l’humanité. Un artiste comme Rebeyrolle a toujours été militant.

J’apporte ma petite pierre à l’édifice global qui aurait pour ambition de transformer la réalité de l’humanité en œuvre d’art. André Comte-Sponville m’avait dit : « L’art est un parcours entre beauté et vérité ». Cette collection est plus proche de la vérité. Toutes ces œuvres ont un côté auto-psychanalytique et les gens qui vivent bien avec ces œuvres fortes ont réglé leurs angoisses, leurs peurs. Je ne suis pas angoissé devant un tableau de Jean Rustin, ça touche profondément.
HALLE 4RICOL Raphaelle. Sans titre 2009 acrylique sur toile 146x114cm  Atelier Demoulin
 
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez découvert l’accrochage de votre collection à la Halle Saint-Pierre ?

Lorsque j’ai vu la collection telle que Martine Lusardy – la directrice du musée –, j’ai été surpris. Je ne l’avais jamais vu ainsi. Elle était restée 3 jours enfermée dans l’abbaye afin de sélectionner 500 œuvres sur les 2 500 que compte la collection (autour de 161 artistes). Elle a réussi à créer une continuité, à privilégier l’harmonie globale tout en acceptant d’en supprimer certaines une fois sur place pour que ce soit juste.

 

 
Est-ce que les catégories ne pourraient pas tomber grâce aux collectionneurs ? Nous sommes ici dans un musée labellisé «art brut», mais vous ne vous arrêtez pas à cela. Votre collection est le reflet de vos préoccupations sans vous enfermer dans une catégorisation.

Le collectionneur est libre. Au début on est pris dans quelque chose de très viscéral, et ensuite, vous stockez de l’information, de la connaissance. Aujourd’hui, ma démarche est plus construite : pour acheter une nouvelle œuvre, il faut qu’elle trouve sa place dans la collection, qu’elle intègre ce puzzle que je construis autour des toutes les facettes de l’humain. C’est pour cela que je me tourne vers des artistes étrangers qui racontent leurs spécificités, même s’il y en a déjà : Dado, Lindström, Karel Appel, Gao Xingjian… Il est important de donner plus de témoignages d’une époque, d’où la présence d’un artiste comme Moké, qui porte des messages politiques sur l’exploitation de l’Afrique, sur les politiciens corrompus manipulés par les Occidentaux…

HALLE 2BLANQUET Stephane. La petite fille. PhotoAtelierDemoulin Abbaye dAuberiveLe fait d’avoir besoin d’aller voir ailleurs est-il un exotisme qui permet d’avoir des filtres pour voir autrement ou être surpris ?

Oui, il y a ça, c’est sûr, mais il y a aussi ce désir d’agrandir le puzzle. Si je reste dans le franco-français je tourne en rond. Je cherche une nouvelle énergie comme celle portée par José Francisco Abello Vives que j’ai découvert par hasard en Colombie, alors que j’étais invité à un congrès par le Réseau Carthagène d’Ingénierie (concerne la formation dans les écoles d’ingénieurs). En me promenant dans la ville, je suis tombé sur des affiches de cet artiste, j’ai cherché à en savoir plus et j’ai appris qu’il était trisomique. Je l’ai rencontré, en a sympathisé avec son frère, j’en ai parlé au musée d’art brut de Lausanne. Il a été protégé par de grands intellectuels d’Amérique du Sud sont le prix Nobel de littératures Gabriel García Márquez ou le sculpteur Botero.

 
HALLE MARYANQuels sont les artistes sur lesquels vous pourriez attirer l’attention des lecteurs ?

On peut évoquer Maryan qui est en couverture du catalogue. Il a eu une vie incroyable, interné à 13 ans dans un camp de concentration, il a été 2 fois fusillé et s’en est sorti à chaque fois mais la dernière fois on a dû lui amputer une jambe. Il a pris la nationalité américaine en 1969 et a fini par se laisser mourir.

Comme il le dit, sa peinture est autobiographique. Un autre artiste aux œuvres hallucinantes est Zoran Mušič, qui crache également les horreurs de la guerre.

Il y a aussi cet artiste que j’ai découvert dans une brocante en Gironde ! Adolphe Vuillemot, né en 1886 se déclarait simultanément forgeron, ajusteur, électeur, citoyen, ouvrier, mécanicien… et candidat à la présidence de la République, rien que ça ! Ses dessins au crayon de couleur gras relatent ses passions, ses métiers et sa vie. À noter ce dessin qui est un véritable Carré Hermès avant l’heure, construit avec des chaînes.

Et puis il y a Alexandre Alfandari, qui s’est suicidé à 33 ans. Il a produit en tout 84 œuvres et sa mère en possédait encore 14. Il peint le Chemin de Croix du Christ, des autoportraits dans le style de grandes peintures d’histoire. Cela peut être très violent, pornographique, fantasmé… Et beaucoup d’autres à découvrir à la Halle Saint-Pierre !

Propos recueillis par Stéphanie Pioda

 

[Photos : Murielle BELIN, Folla ratt femella, 2007, TM, 18 x 14.5 x 20 cm. Photo Atelier Démoulin © Abbaye d’Auberive/ Portrait de Jean-Claude Volot © DR / Pierre MOLINIER, Je tampe vers Gehamman, 1966, tirage argentique, 12,7 x17,2 cm © Atelier Démoulin / Fred Deux, Je Feu, 1960, laque et encre de Chine reproduit sur livre, 72x98cm © Atelier Démoulin / Ody SABAN, Brève escale des foudres, 1992, technique mixte sur toile,131 x 131 cm © Atelier Démoulin / Raphaëlle RICOL, Sans titre, 2009, acrylique sur toile, 146 x 114 cm © Atelier Démoulin / Stéphane BLANQUET, La Pythie face aux Signes, 2015, 170 x 230 cm, Photo Atelier Démoulin © Abbaye d’Auberive / MARYAN, Sans Titre, 1974, AST, 90 x 75 cm © Atelier Démoulin]

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