0 Shares 3581 Views

Don Carlos : bouquet de stars à l’Opéra Bastille

Hélène Kuttner 30 octobre 2017
3581 Vues
don carlos opera bastille musique artistik rezo paris

Un casting de stars du chant lyrique, avec le ténor Jonas Kaufmann dans le rôle du prince maudit, une direction signée Philippe Jordan et un metteur en scène qui fait flamber les scènes mondiales en la personne de Warlikowski, cette production de rentrée de l’Opéra de Paris avait de quoi nous faire rêver. Dans une scénographie plus qu’austère, les chanteurs nous éblouissent et la musique de Verdi nous transporte en donnant chair et lumière à un spectacle sans grand parti pris.

don carlos opera bastille musique artistik rezo paris

Un texte politique

C’est le troisième opéra que l’Opéra de Paris, en 1850, commande à Giuseppe Verdi. La première version, qui date de 1867, raconte en cinq actes et en français la mise à l’écart du jeune Don Carlos, au XVIe siècle, par son père le Roi d’Espagne Philippe II, qui lui vole aussi sa fiancée française Élisabeth de Valois. Femme aimée, pouvoir et liberté, le pauvre prince, qui historiquement finit sa vie en prison à l’âge de 23 ans, est totalement bâillonné par son paternel, un tyran autocrate et sous domination de l’Église chrétienne via le Grand Inquisiteur. C’est cette version qui est aujourd’hui présentée par le chef Philippe Jordan, avec l’orchestre de l’Opéra de Paris, alors que c’est la version écourtée, en quatre actes et en italien, plus séduisante, qui est jouée en général depuis le XIXe siècle. Pièce politique, l’œuvre déploie une composition instrumentale superbe autour des enjeux propres à Verdi et à la construction européenne, c’est-à-dire la liberté des peuples et l’autonomie des nations dominées par les empires.

don carlos opera bastille musique artistik rezo paris

Une distribution de rêve

Le ténor Jonas Kaufmann campe un Don Carlos romantique et dépressif à souhait, dont la délicatesse et le timbre nuancé semblent retenir des émotions puissantes, comme pour mettre justement en lumière ses partenaires trop présents. D’abord juste dans la première scène où il chante alangui dans une méridienne, sa ligne de chant se déploie ensuite avec une belle retenue, introvertie par la souffrance métaphysique d’un Hamlet trahi par les siens. Prodigieux musicien, Kaufmann joue d’un romantisme très contemporain, alors que son rêve, ou sa rencontre réelle avec Élisabeth, relève d’un coup de foudre stendhalien. Sonya Yoncheva est plus que parfaite dans un rôle ingrat de princesse trimballée et malheureuse, timbre de soprano puissant et profond, aux vibrations terriblement sensuelles, à la composition dramatique constante. À cette gravité de brune, la blonde Elīna Garanča oppose une flamboyante vénéneuse, une voix prodigieusement claire et ravageuse, au potentiel wagnérien, aux inflexions tour à tour perverses ou câlines. D’une beauté et d’un charme fatals, la cantatrice fait un tabac à chaque représentation par sa présence et son talent exceptionnels.

don carlos opera bastille musique artistik rezo paris

Des personnages romanesques

Trois hommes se partagent finalement l’échiquier du pouvoir et renversent le jeu constamment. Le Roi Philippe, auquel la basse Ildar Abdrazakov prête son autorité et son calme, sa cruauté terrible mais aussi une sensibilité vibrante et inavouée, notamment lors du troublant solo de l’Acte IV Elle ne m’aime pas. Le Grand Inquisiteur démoniaque, incarné par Dmitry Belosselskiy à la manière d’un parrain mafieux, et le Marquis de Posa, confident de Carlos, qui sacrifie pour lui vie et amitié, et auquel le baryton Ludovic Tézier, régulièrement applaudi par le public, offre ici une composition scénique tout à fait admirable de pudeur et de sensibilité mêlées. Le velours de sa tessiture, la précision de son phrasé, la variété et la finesse de ses attaques, dans chacune de ses scènes, sont remarquables.

don carlos opera bastille musique artistik rezo paris

Une mise en scène erratique

Des lattes de bois brun constituent le cadre du palais et des jardins, où pleuvent des taches blanchâtres, comme si l’on visionnait de vieux films sépia. La précision de la description du livret laisse place à une succession de tableaux sans âme, auxquels se mêlent des projections vidéo des chanteurs en gros plan – Carlos le revolver sur la tempe, la toile de Goya de Saturne dévorant l’un de ses enfants –, le jardin de la princesse est remplacé par un gymnase éclairé aux néons dans lequel s’entraînent des nonnes en tenue casquée d’escrimeuses, la rencontre entre Philippe et l’Inquisiteur se tient dans un studio vidéo avec fauteuils de cuir gris. Ces références éparses et sans parti pris décisif dans la mise en scène laissent du coup pleine latitude aux chanteurs dans l’expression de leur talent. Ce sont eux, interprètes vibrants et magnifiques d’une musique céleste, qu’il faut venir admirer et applaudir dans cette production.

Hélène Kuttner

[Photos © Agathe Poupeney]

Articles liés

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau
Agenda
96 vues

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau

Pour les amoureux de concert classique, la Salle Gaveau nous promet de la haute qualité avec un nouveau concert en mais avec J. Brahms et l’orchestre de CRR de Paris.  Au programme :  J.BRAHMS Concerto pour violon en ré...

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau
Agenda
96 vues

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau

Médaille d’Or du Concours Tchaïkovski en 1986, Barry Douglas se produit en récital sur toutes les grandes scènes du monde – du Royaume-Uni au Mexique, des PaysBas aux États-Unis. Il est l’invité de prestigieux orchestres, parmi lesquels le BBC...

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon
Spectacle
212 vues

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon

Projetant la pièce de Molière au 18° siècle, sous la tutelle du Marquis de Sade, Macha Makeïeff fait de cet anti-héros un prédateur sulfureux et languissant, interprété avec brio par Xavier Gallais dans un décor unique. Une course à...