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Les Témoins : la presse sous pression !

Myriem Hajoui 5 février 2020
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Ils sont comme ça les spectacles de Yann Reuzeau : électriques, haletants, en phase avec l’air du temps. Fable rugueuse aux airs de dystopie parfaitement maîtrisée, sa nouvelle pièce Les Témoins, nous plonge dans les coulisses d’un journal aux prises avec un pouvoir d’extrême droite. Un précipité incandescent sur la fragilité de nos démocraties.

Un dramaturge de convictions

Après une série de spectacles dopés au Red Bull (La Secte, Les Débutantes, Monsieur le Président, Puissants et Miséreux et surtout le saillant Chute d’une nation, magistrale fresque théâtrale et politique encensée par la critique et le public en 2011, Yann Reuzeau est de retour aux affaires. Son nom ne vous dit rien ? Le garçon possède pourtant déjà un sacré pedigree. Celui d’un activiste de la scène gérant une salle de théâtre dédiée à la création contemporaine (La Manufacture des Abbesses dont il est le co-fondateur avec Sophie Vonlanthen depuis 2006), jonglant avec de multiples projets tels que Mécanique Instable (2013-14), l’exploitation fleuve de Chute d’une nation repris en 2015 au Théâtre du Soleil à l’invitation d’Ariane Mnouchkine, la création au même moment de De l’Ambition, suivie de Criminel en 2017-18 (inspiré de l’affaire Jacqueline Sauvage, joué à Paris et au Festival d’Avignon 2018 et 2019), tout en glanant au passage de jolies récompenses dont le Prix Beaumarchais du Meilleur Auteur ou encore le Prix Charles Oulmont ! Mais Reuzeau, c’est avant tout un jeune dramaturge de convictions qui rencontre son époque, la percute avec un œil vif et acéré. Et parce qu’il vit dans un monde anxiogène dont il refuse de subir les oukases sans broncher, il l’invite sur ses plateaux pour l’ausculter, continuant de nous surprendre avec des créations toujours plus éruptives. Pour preuve : cette politique fiction cinglante comme une gifle à la dignité humaine.

Avis de tempête sur la liberté de la presse

Que se passe t-il quand la presse est violentée par la politique ? Après Chute d’une nation, Les Témoins ouvre comme une plaie béante la question d’une société sans liberté de la presse avec une saisissante scène d’ouverture. Plongés au cœur d’une conférence de rédaction dans les locaux du site d’information Les Témoins, on y voit six journalistes confrontés à un violent tsunami : l’élection présidentielle a été remportée par un candidat de l’extrême droite. Quel avenir pour ce quotidien influent à la ligne claire : pas d’opinions, juste des faits ? La pièce part directement des cendres. Zéro illusion. Il ne s’agit pas d’une simple alternance : le journal est désormais l’ennemi à abattre. Dans cette ambiance implosive, l’auteur-metteur en scène a installé une galerie de personnages mémorables. En première ligne : Catherine, la rédactrice en chef, chargée de se battre pour préserver leur éthique et leur détermination. Un casse-tête : tandis qu’une loi met à mal la liberté de la presse, la rédaction enquille les enquêtes dérangeantes (projet de terrorisme écologique, scandale sanitaire…) et s’embrase, dessinant un écheveau complexe d’opinions et une sorte d’éventail des comportements humains : tel collègue décidant de rester sur la ligne objective qui fait leur force, tel autre étant favorable à l’insurrection. Embarqué dans ce puissant rouleau qui engloutit tout et nous laisse sur le sable étourdi, on assiste in vivo à la désagrégation de ce journal qui enchaîne les crêtes émotionnelles comme un grand huit et souligne ce qui pousse les êtres à se révéler ou à se flétrir.

Une ébouriffante fiction politique

Il en résulte un cyclone émotionnel, pas une pièce de plus non, du théâtre à haut degré d’octane, rythmé comme un thriller survolté, qui vous happe d’emblée pour ne plus vous lâcher deux heures durant. À la radiographie minutieuse d’une dictature en marche, s’ajoute un sens du récit époustouflant, une mise en scène organique et des ping-pongs de haute volée. Comme d’habitude, Reuzeau aligne une sacrée martingale de comédiens et les équipes de dialogues percutants. Véritables blocs d’énergie et de pure présence, Frédéric Andrau, Marjorie Ciccone, Frédérique Lazarini, Morgan Perez, Tewfik Snoussi et Sophie Vonlanthen, livrent ici une performance de compétition dans un décor qui se fracasse au fil des différents dilemmes. Coup de pouce levé également pour la scénographie immersive (Goury) avec comme cœur radioactif, un écran affichant en continu les Unes et pages du journal. Alors oui, il faut s’accrocher parce que ça fuse, ça file et ça hurle parfois jusqu’à l’hyperventilation ! Reste que ce jeu en surrégime trouve ici sa pleine nécessité : avec son ton brut de décoffrage et sa façon d’injecter une urgence qui imprime chaque scène, Reuzeau offre une grille de compréhension bienvenue (et documentée) pour appréhender la menace d’une désintégration de l’état de droit. Frontalement mais sans simplifications maladroites. Un appel à l’éveil des consciences et à s’interroger sur le mot Liberté.

Myriem Hajoui

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