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Heejin Diamond : “J’ai appris à sortir de la performance unique et à m’amuser sur scène”

Léa Héron 15 mai 2020
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Heejin Diamond est devenue contorsionniste et équilibriste très jeune. La création de ses spectacles, toujours plus impressionnants, se fait en collaboration avec son mari et équipier, Sigrid La Chapelle. Elle nous raconte son parcours et son histoire.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Heejin Diamond, je suis contorsionniste et équilibriste. Je viens de Mongolie et je vis à Paris depuis maintenant dix ans.

Que vouliez-vous faire plus jeune ? Était-ce un rêve d’enfant de devenir équilibriste ?

Il faut savoir qu’en Mongolie, la contorsion est un art ancestral enseigné aux petites filles. Il constitue un patrimoine immatériel inestimable. À l’âge de 5 ans, j’ai vu un spectacle de contorsion à la télévision et j’ai su que c’était ce que je voulais faire. À force de me voir me tordre sur le canapé, ma mère a décidé de m’inscrire dans une école de contorsion, j’avais à peine 6 ans.

Quelles sont les formations pour cet art du corps ? Comment êtes-vous devenue contorsionniste professionnelle ?

Comme je le disais, j’ai suivi des cours particuliers depuis l’âge de 6 ans. À 13 ans, avec ma professeure, j’ai commencé une carrière professionnelle et les tournées internationales. Nous étions un trio. J’ai commencé les tournées en Thaïlande, en Corée et au Mexique. À l’âge de 15 ans, j’ai fait une tournée d’un an dans tout le Mexique avec le cirque Atayde, très connu là-bas.

Vous travaillez avec Sigrid La Chapelle, votre mari, notamment metteur en scène de vos numéros. La création de vos spectacles se fait-elle à deux ?

C’est un vrai luxe d’avoir à mes côtés le regard extérieur, bienveillant et créatif d’un auteur. Sur chaque création, on avance ensemble. Mon mari est quelqu’un de très drôle en plus d’être extrêmement créatif, il a une idée par seconde. J’ai appris une chose importante avec lui, à l’opposé de ma formation et de ma culture : sortir de la performance unique et apprendre à m’amuser sur scène.

Quelles sont vos inspirations pour les tenues et les décors ?

Là encore, nous travaillons à deux avec Sigrid. J’aime que chaque création soit différente. Je suis contorsionniste et équilibriste alors avec ces deux techniques, il faut apprendre à écrire et à raconter des histoires pour que les numéros soient différents.
Snow Queen est un numéro de contorsion assez traditionnel dans sa forme. Il nous plonge dans l’univers et les étendues sauvages de mon pays. C’est aussi le résultat d’une histoire d’amour et le premier plus beau diamant que m’ait offert mon mari. Black Jack se situe dans un tripot des années 20 et met en scène une pin-up qui vient faire sauter la banque. Almaaz s’inspire quant à lui de l’univers de Roland Topor et René Laloux, dans le dessin animé La Planète sauvage. Pour Red Angel, je voulais parler de l’émancipation de la femme et du droit de disposer de son corps. J’ai pris comme image la pureté de la danseuse d’opéra, qui devient sado-maso la nuit. Une fois les idées fixées, on développe les costumes, les décors, les musiques, les lumières, la communication et tout ce qui compose un numéro. Même si ça n’y paraît pas, c’est une véritable petite entreprise. Costumière, compositeur, chorégraphe, bottier, styliste, éclairagiste, décorateur, serrurier, vidéaste, etc… Il peut y avoir plus de quinze personnes qui interviennent sur la conception d’un numéro.

Avez-vous des projets pour la suite malgré les difficultés que crée ce confinement ?

La vie était un peu speed jusque là, ça nous permet de souffler et de nous poser sans urgence. C’est un vrai bonheur de passer nos journées ensemble, c’est un peu comme une résidence de création. C’est une période très créative qui permet de faire avancer des projets qui végétaient. Il y a deux ans, avec l’envie de transmettre, j’ai ouvert mon studio de contorsion : Le Diamond Studio. Je coache et j’enseigne mes techniques à d’autres professionnels du cirque, de la danse et du sport. Avec les tournées et les créations en cours, je n’avais pas eu le temps de structurer ma pédagogie comme je le désirais. Je profite du confinement et du temps à disposition pour avancer dans ce sens. Nous avons aussi de nouvelles créations en cours. Nous sommes deux hyperactifs alors on ne s’ennuie jamais.

Y a-t-il un spectacle qui vous a marqué plus que les autres, une anecdote à nous raconter ?

La première fois que j’ai mis les pieds en Europe, c’était sur la piste du Festival International du Cirque de Monte-Carlo. Nous étions les Blue Sky Girls, un groupe de neuf contorsionnistes. Ma mère vivait en France et je ne l’avais pas revue depuis presque dix ans. Quand j’ai aperçu son visage, j’étais sur la piste du plus prestigieux festival de cirque au monde, devant 3000 personnes. Quelle émotion ! Nous sommes en plus repartis avec une médaille de bronze et notre nom dans l’histoire. J’ai ensuite décidé de quitter la Mongolie pour reprendre mes études auprès de ma mère qui vivait au Havre. J’allais dans un pays que je ne connaissais pas, je ne savais pas dire un mot dans cette langue. Je faisais une croix sur ma carrière d’artiste, en rangeant cette vie dans mes souvenirs d’enfance. Mon professeur de sport au lycée du Havre a remarqué que j’étais souple et m’a proposé de venir au cours de cirque du soir. Personne ne connaissait mon parcours et moi dans ma tête, j’avais arrêté. Le sport m’occupait et me permettait de progresser en français tout en me faisant des amis. L’année suivante, mon professeur m’avait inscrite dans un festival de jeunes talents. Je me suis alors prise au jeu, au fond de moi la scène me manquait. J’avais mes cannes d’équilibre qui dormaient dans une valise, ma mère m’a cousu un costume, ma sœur a fait des photos. J’ai écrit mon premier numéro solo, moi qui n’avais toujours travaillé qu’en troupe. C’était la seconde fois que j’allais monter sur scène en Europe. Quel trac ! Ça faisait un peu plus d’un an que j’étais au Havre et je n’étais jamais sortie de la ville. Le 26 novembre 2011 j’ai pris un train pour la Charente, découvrant par les fenêtres du TER ce merveilleux pays, tellement différent du mien. La ville de destination s’appelait Saintes, un signe du destin. Ce soir-là, j’ai eu la médaille d’or et j’ai rencontré l’homme qui allait devenir mon mari. L’aventure a recommencé, on n’échappe pas à son destin…

Plus d’informations sur son site internet et son compte Instagram.

Propos recueillis par Léa Héron

 

À lire aussi sur Artistik Rezo :

La métamorphose du corps, l’art du poète, de Titou Granier

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