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Le Viol de Lucrèce : un enchantement aux Bouffes du Nord

© Studio j'adore ce que vous faites

Pour une réouverture en beauté, le Théâtre des Bouffes du Nord présente en ce moment une œuvre ardente et riche de Benjamin Britten, admirablement servie par les jeunes chanteurs et musiciens de l’Académie de l’Opéra national de Paris dans une mise en scène limpide de Jeanne Candel.

Une jeunesse en fête

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Quand les projets qui associent de jeunes artistes talentueux et une oeuvre que l’on se plaît à redécouvrir dans une forme nouvelle réussissent, alors c’est le bonheur parfait. C’est ce qui arrive avec cette toute nouvelle production de l’Opéra de Paris co-signée par la metteur en scène Jeanne Candel, dont on a pu admirer le travail sur «Le crocodile Trompeur » et « Didon et Enée » -repris en juin au Théâtre de l’Aquarium- et le chef d’orchestre Léo Warynski, élu personnalité musicale de l’année 2020 par le Syndicat de la Critique. Ce travail en commun se révèle en tous points remarquable, d’autant que le dispositif scénique sur le plateau des Bouffes du Nord, plaçant les chanteurs devant un voile tissé, laissant ainsi la petite formation orchestrale derrière, complexifie la tâche du chef. Tout cela n’entache cependant en rien la qualité musicale de l’interprétation qui révèle, bien au contraire, la subtilité, la richesse d’une composition éminemment théâtrale, narrative et sensible.

Bestialité de tous les temps

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L’histoire est celle d’un viol. L’héroïne bafouée, qui finira par se donner la mort, est la plus vertueuse des épouses romaines, filant sagement la laine avec ses servantes, alors que les soldats romains, dirigés par Tarquin le Superbe en 509 avant J.C., festoient et rivalisent de grossièreté et de mépris à l’égard de leurs femmes. « Les femmes ne sont chastes que tant qu’elles ne sont pas tentées » beugle Sextus Tarquin, le fils du roi, provoquant la jalousie de Collatinus, l’époux de Lucrèce. Benjamin Britten et son librettiste Ronald Duncan s’inspirent de la pièce d’André Obey, elle même tirée d’un poème de Shakespeare, pour composer en 1946 un « opéra de chambre » à effectif orchestral réduit mais dont la harpe, le piano et les vents tricotent des harmonies d’une puissance remarquable. Le suspense émotionnel, le galop d’un cheval, l’angoisse et le désir, l’attente et la frustration, toute  la gamme des sentiments humains s’illustre à travers cette partition d’un lyrisme expressif et moderne.

Des personnages proches de nous

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L’intelligence de la mise en scène de Jeanne Candel se révèle dans la caractérisation qu’elle donne à tous les personnages, y compris les deux personnages du choeur, qui participent à l’action. Un simple rideau de tissage ajouré fait fonction de décor, que des belles lumières sculptent avec douceur, invitant le spectateur à pénétrer dans l’intimité des êtres. Le ténor suédois Tobias Westman et la soprano suisse Andrea Cueva Molnar, élégamment vêtus, orchestrent la narration de manière éblouissante, pureté du timbre et nuances dans le respect minutieux de la partition. Aaron Pendleton (Collatinus), Alexander York (Tarquinius) et Alexander Ivanov (Junius) dans la distribution A rivalisent de talent dramatique et de subtilité vocale, évitant l’excès inhérent aux personnages de soldats brutaux. La Lucrèce de Marie-Andrée Bouchard Lesieur séduit pareillement, opposant à la débauche de désir masculin une féminité voluptueuse et frémissante, entourée de ses deux servantes, Bianca-Cornelia Oncioiu, et Lucia-Kseniia Proshina, un duo parfait tant du point de vue vocal que dramatique. On chavire avec elles et on pleure, le jeu et la musique, associés à un livret richement écrit, contribuant à la pleine réussite de cette création.

Hélène Kuttner

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