“Cyrano de Bergerac” en quête de panache à la Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage
La pièce préférée des Français fait son grand retour à la Comédie-Française avec le comédien Laurent Lafitte dans le rôle titre et un décor kitch d’opérette. Jennifer Decker est une Roxane frémissante, seule femme d’une distribution totalement masculine dans la mise en scène queer d’Emmanuel Daumas qui teinte la pièce de burlesque. Pour autant, la pièce d’Edmond Rostand, par la puissance de ses vers, semble résister à cette actualisation.
Paillettes et plumes

© Christophe Raynaud de Lage
C’est un véritable podium, étagé et recouvert d’or, qui se dresse sur la scène de la salle Richelieu, sertie par les rideaux en lamé or qui entourent le promontoire. Des lumières de music-hall jettent mille feux artificiels et donnent à la première scène des allures d’opérette 1900, époque où le magicien Georges Méliès fait de son studio en carton pâte le décor de ses premiers films. Peut-être est-ce l’année de création de Cyrano de Bergerac, 1897, et la passion d’Edmond Rostand pour le grand comédien Constant Coquelin, qui ont poussé Emmanuel Daumas à planter le décor kitsch de sa mise en scène Belle Epoque, alors que le début de la pièce est censé se dérouler dans la semi-obscurité et que les lustres ne sont pas encore allumés. Mais c’est vrai que l’histoire se déroule au XVIIe siècle. Cette nouvelle production prend le contre pied de la didascalie initiale, mettant en pleine lumière les personnages qui déboulent sur le parterre de l’hôtel de Bourgogne comme lors d’un défilé de mode : cavaliers, gardes, bourgeois ou marquis vêtus comme des chérubins avec des dentelles blanches et ronronnant de plaisir tels des cocottes. On défile sur le podium à grands renforts d’auto-satisfaction, le corps couvert de plumes et gainé dans du satin crème. Et quand surgit Cyrano, glissant son corps alerte sur une corde traversant l’espace de la scène, le pompeux comédien Montfleury s’égosille encore sur des vers mal ficelés.
Des mots qui conduisent au rêve

© Christophe Raynaud de Lage
Cyrano de Bergerac séduit depuis la fin du 19°siècle en raison d’une intrigue délicieuse et d’une double histoire d’amour brisée. Cyrano, poète chevaleresque au nez disgracieux, aime secrètement sa cousine Roxane, elle-même éprise du beau et sot Christian. Grâce à la passion et au stratagème de Cyrano de Bergerac, cousin germain de la jeune fille, Christian se fera souffler en cachette, jusqu’à sa mort sur le champ de bataille, les mots d’amour pour capturer le cœur de l’aimée. Cyrano est entiché d’un nez monstrueux, possède une bravoure de capitaine d’armée et un talent d’orateur d’un romantisme échevelé. Les deux garçons seront les deux faces, comme Janus, du même amant, jusqu’à ce que Roxane avoue à Christian qu’elle l’aimerait « même laid » à l’acte IV, sur le champ de bataille d’Arras. C’est d’ailleurs à ce moment-là, dans l’obscurité lumineuse d’une scène totalement dépouillée, plantée de lits de camps métalliques et tristes, que l’émotion surgit brutalement. Yoann Gasiorowski-Christian parvient à nous toucher par la sobriété d’un jeu pleinement sincère et juste, quand Jennifer Decker-Roxane poursuit une ligne de jeu qui obéit à la même transparence, dans une frémissante et fragile innocence.
Laurent Lafitte efficace

© Christophe Raynaud de Lage
Si Laurent Lafitte est un comédien remarquable, capable d’enchaîner avec brio les mille six cents vers d’un personnage dantesque avec une énergie athlétique et un souffle puissant, quoique trop rapide, son Cyrano semble encore manquer de tragique et d’émotion, de ruptures et de désespérance. En un mot de romantisme, dans tout ce que le concept possède d’excès et de folie. Le Ragueneau de Laurent Stocker, vêtu d’un pantalon de cuir très rock, déploie son attendrissante attention à la poésie tout autant qu’il le fait pour ses pâtisseries. Le Comte de Guiche, arrogant amoureux de Roxane, est campé avec une fermeté altière par Nicolas Lormeau. Et dès le siège d’Arras, dans la seconde partie plus dramatique, aux enjeux plus vitaux – puisque Christian mourra de ses blessures- le spectacle devient vibrant. La simplicité du décor et du jeu des acteurs, dépouillés des excès parodiques de la première partie, facilite l’adhésion du spectateur à cette histoire rocambolesque et touchante, belle et triste, ridicule et tragique à la fois, composée par un auteur, Edmond Rostand, élu à 33 ans à l’Académie française. Avec panache !
Hélène Kuttner
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