« Les Petites Filles modernes (titre provisoire) » : le conte fabuleux de Joël Pommerat
@Agathe-Pommerat-
Au Théâtre Amandiers de Nanterre, refait à neuf après quatre années de travaux, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat réinvente l’adolescence, ses frayeurs et ses désirs d’absolu dans un conte qui tisse de manière fabuleuse le réel et le surnaturel, avec une scénographie subtilement modelée par la lumière, habitée d’une bande son et de vidéos insolites. Un voyage qui ensorcelle et surprend, conçu de manière totalement unique, en partenariat avec le Festival d’Automne.
Rêver le réel autrement
Joël Pommerat est un magicien du théâtre qui, depuis trente ans, ne cesse de révéler, de modeler, de faire entendre le silence de nos émotions, la douleur de nos cris et la puissance de nos secrets. Son terrain d’expérimentation préféré, depuis quelques années, c’est l’enfance et et les mystères de l’adolescence, dont il élabore avec de très jeunes comédiens comme dans Contes et Légendes les histoires en forme de poupées gigogne, avec des intrigues sans fin, « des histoires vraies qu’on se refuse de voir », pour citer Jade ou Marjorie, les deux adolescentes de cette dernière création. « Bienvenue au royaume des histoires inconcevables qui n’ont pas de fin, celui des révélations jamais certifiées, des mondes étranges qu’il serait vain d’expliquer ». Le premier tableau est saisissant de mystère : les deux jeunes filles, au loin, grâce à l’effet d’une vidéo qui démultiplie la perspective avec des niveaux de gris, apparaissent au fond d’un paysage lunaire. D’où viennent-elles ? Où vont-elles ? Le mystère est total et nous n’avons qu’à nous laisser porter, ouvrir nos yeux et nos oreilles, et découvrir, entre les noirs projetés par cette lanterne magique, les différentes séquences de l’histoire qui apparaissent comme des bulles de vie.
Un fantastique incarné

@Agathe-Pommerat-
Les deux jeunes comédiennes, Coraline Kerléo et Marie Malaquias sont, comme toujours chez Pommerat, d’une sincérité et d’une justesse prodigieuse. Sur le plateau, viennent vibrer d’un sombre éclat plusieurs histoires qui s’entremêlent. La première raconte l’amitié amoureuse entre les deux jeunes filles, l’une projetant son désir de possession absolue sur l’autre, la seconde exprime la violente révolte à l’égard des adultes, avec la convocation du proviseur du collège qui sermonne la fugueuse en fuite, dans un monde ou domine l’absence totale de communication entre le monde de la GénZ et celui de leurs parents et des adultes qui les entourent. La langue de ces adolescentes est violente et tendre à la fois, leurs mots sont drus comme des lames, exprimant une quête romantique d’absolu, et c’est ce qui nous touche. Le théâtre ici se nourrit de poésie et de violence amoureuse, il exprime la peur de l’abandon et du vide, mais aussi l’humour caustique qui renverse le réel en réinventant un autre monde. Quelle est d’ailleurs l’identité de la jeune fille enfermée dans cette maison, sur le bord d’une route, dont le propriétaire verrouille jalousement l’entrée ?
Fantômes du présent

@Agathe-Pommerat-
Finalement, on retrouve les deux jeunes filles dans une grande chambre protégée par un ours en peluche, qui va ensuite se personnifier en monstre. La voix off du père, Eric Feldmann qui joue tous les rôles masculins, sonne comme un tonnerre de reproche « Fais tes devoirs, couche toi car demain tu ne seras pas en forme pour ton contrôle de maths ! » La musique paternelle suit la route de la raison, tandis que le spectacle poursuit à travers les champs du rêve, la fugue nécessaire à l’émancipation des gamines. Tiens, les voici soudain dans la maison d’un vieil homme effrayant et claudiquant, jouant à cache-cache avec son bâton ! La lumière imprime des brumes ocres, la campagne se fait sentir, puis plus rien. Au bout du suspense, des filtres lumineux viennent projeter des motifs géométriques en même temps que le piano rugit, dessinant une architecture de l’enfermement. Est-ce un rêve, un cauchemar ou une histoire réelle ? On l’aura compris, le théâtre total de Joël Pommerat, façonné avec la complicité du créateur de lumières Eric Soyer, du musicien Antonin Lemayrie et du vidéaste Renaud Rubiato, échappe à l’interprétation rationnelle. Il tente, avec beaucoup de travail et de temps, d’inventer une forme artistique qui transfigure l’évidence, et de ce fait percute les plus grands mystères, les fantasmes les plus absolus de la jeunesse. Et il nous embarque, jeune et moins jeunes, dans ce rêve de théâtre.
Hélène Kuttner
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