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Les comités d’artistes face au marché

8 avril 2014
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Les comités d’artistes face au marché

Le 8 avril 2014


À la mort d’un artiste, outre la dispersion de l’héritage entre les différents ayants droit, des comités sont en général créés avec pour missions la conservation et le rayonnement de l’œuvre dudit artiste. Leurs prérogatives peuvent aller de la gestion des droits à la valorisation d’une collection, mais ce qui les met sur le devant de la scène concerne leur expertise dans l’authentification des œuvres. Par ce biais, les comités permettent au marché d’être sain et exercent une influence déterminante.

Constitution et rôle

Ces organismes peuvent aujourd’hui avoir trois formes. Soit, ils sont composés d’ayants droit de l’œuvre de l’artiste, soit d’un ensemble de spécialistes, soit ils adoptent une forme mixte, regroupant connaisseurs et ayants droit.

Dans le cas où les ayants droit souvent héritiers de l’artiste composent ce comité, celui-ci a également à charge la gestion des droits d’images de l’artiste. Par ce biais, le comité ou la fondation récupère des fonds lors de l’utilisation à titre commerciale des œuvres de l’artiste utilisés afin de financer la recherche sur l’artiste, des programmes éducatifs, mais également des démarches d’authentification.
Souvent créées à la suite d’un décès, ces organisations peuvent également avoir une visée sociale, liée aux préoccupations de l’artiste. La Keith Haring Foundation consacre ainsi une partie de ses fonds à des programmes de prévention contre le SIDA. Celle-ci a par ailleurs la particularité d’avoir été fondée du vivant de l’artiste, quelques mois avant son décès, en 1989.

Certaines fondations attribuent également des prix. C’est le cas de la fondation Robert Rauschenberg RRF qui distribue à seize organismes artistiques émergents, à travers les États-Unis, la bourse SEED : un capital permettant aux organismes en phase de démarrage de renforcer leur croissance et d’assurer la pérennité de leur projet.

Gestionnaire de succession, une profession à part entière, parfois lucrative.
Les « estates » des stars que sont Warhol ou Basquiat sont valorisées à des centaines de millions de dollars. Cependant, il n’existe pas que ces fondations célèbres et la gestion de la succession d’un artiste, renommé ou non, peut s’avérer une activité lucrative. Comme le relevait il y a quelques années le journal britannique The Telegraph, le cas du marchand anglais Jonathan Clark en est une parfaite illustration. Ce spécialiste de l’art britannique du XXe siècle s’est fait une spécialité de gérer et surtout valoriser des successions. Après avoir acquis celles d’Ivon Hitchens et Roger Hilton, l’un des principaux peintres abstraits des années 1950, dont il a contribué à promouvoir le travail, celui-ci a obtenu les successions de Kenneth Armitage, Adrian Heath, John Wells et Bryan Wynter. La liste s’est depuis encore allongée. Les tâches qu’implique la direction d’une succession mise en lumière d’une œuvre, publication de catalogues et organisation d’expositions sont aujourd’hui une activité fructueuse pour Jonathan Clark.

L’authentification à tout prix

Cependant, ces dernières années, les comités principalement liés aux artistes les plus cotés ont connu de nombreuses mutations. En effet, alors que cela n’était pas, à l’origine, leur mission principale, le travail d’authentification a, petit à petit, occupé une part croissante du temps et des ressources des fondations. Consécutivement à la croissance vertigineuse du marché de l’art avec des sommes en jeu toujours plus importantes, l’authentification des œuvres est devenue un enjeu central.
Pourtant, les comités d’authentification n’apportent pas de garanties légales et leur légitimité s’appuie sur le marché. Si le comité comprend des ayants droit de l’artiste, cette légitimité est acquise presque automatiquement. Dans le cas contraire, le marché sélectionne l’organisme apportant le plus de garanties avec l’usage.
L’influence de ces comités, en particulier via leur pouvoir d’authentification, a donc un poids considérable dans le marché de l’art, dont ils sont devenus des acteurs centraux. La délivrance d’un certificat d’authentification peut aujourd’hui modifier la valeur d’une œuvre de quelques milliers de dollars jusqu’à des centaines de milliers voire des millions de dollars.

Alors que les fondations avaient pour unique objectif de mettre en valeur et protéger l’œuvre de leur artiste, celles-ci sont devenues des acteurs du marché. Pour les artistes les plus cotés, dont les stars de l’art contemporain, Jean-Michel Basquiat, Keith Haring ou Andy Warhol, les enjeux sont devenus énormes. La croissance des demandes de certificats s’est accompagnée, naturellement, d’une augmentation des refus.

Un poids trop lourd à porter

Le propriétaire d’une œuvre, qu’il estime authentique, de bonne ou mauvaise foi, n’accepte pas de bon cœur un refus d’authentification. Une multiplication de ces refus conduit souvent les propriétaires d’œuvres à traîner les comités devant les tribunaux. De fait, l’inflation de procès intentés contre les fondations a conduit ces dernières à progressivement abandonner leur activité d’expertise les frais devenant trop élevés. Certes, les comités sont dotés de « liability insurance », visant à couvrir les frais de justice, mais les polices d’assurance attachées à ces protections ont connu une inflation trop importante.

En 1996, la fondation Pollock fut l’une des premières à cesser ses activités d’authentification. Elle a été suivie par celle dédiée à Roy Lichtenstein en 2011, puis par celles d’Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. Cependant, la dissolution des comités ne s’est pas accompagnée de l’arrêt de l’implication des fondations dans le contrôle de l’authenticité des œuvres.

Suite à la dissolution de son comité, la fondation Keith Haring a publié un communiqué stipulant : « Les trustees ont conclu que le public, ainsi que les missions caritatives de la Fondation, seraient mieux servis si les ressources requises pour le comité d’authentification profitaient à des buts plus étroitement liés aux souhaits du fondateur de la Fondation, l’artiste Keith Haring, ». La Fondation « poursuit le développement d’un catalogue raisonné de l’artiste  mais n’acceptera plus de demandes d’attribution ».

En février 2014, neuf collectionneurs ont porté plainte contre la Keith Haring Foundation. Ils ont dénoncé le fait que la fondation a refusé d’authentifier leurs œuvres et ont réclamé 40 M$ de dommages et intérêts pour ventes perdues. Dans la plainte, ils ont qualifié l’attitude de la fondation d’« irrationnelle » et d’« irresponsable » et dénoncé ses agissements. Ils ont affirmé que le comité d’authentification d’agir dans le secret, sans se justifier, et sans même voir les œuvres physiquement.

Le comité a été dissout en 2012 pour protéger la fondation, mais ces collectionneurs l’ont accusé d’avoir continué à nuire à l’émergence de nouvelles œuvres de Keith Haring sur le marché. Ils ont pris pour exemple l’exposition « Haring Miami » de 2013, qui avait été sévèrement réprimée par la fondation. Elle accusait l’exposition de dévoiler 200 œuvres fausses. Ces collectionneurs ont aussi affirmé que leurs œuvres sont authentiques et proviennent d’un ancien DJ, qui avait été l’amant de Keith Haring et avait obtenu de l’artiste de nombreuses œuvres, ainsi que du street artist Delta Cortez jugés comme des sources fiables.

Les sommes engagées par les fondations dans les procédures judiciaires sont donc considérables. La fondation dédiée à Keith Haring a été précédée par celle consacrée à Andy Warhol, qui en 2011 avait mis fin à ses activités d’authentification. Après avoir dépensé plus de 7 M$ dans sa défense juridique, le comité d’authentification de la fondation Warhol a été dissout. En effet, il avait été impliqué dans des poursuites judiciaires engagées par le réalisateur Joe Simon, qui s’était vu refuser le fameux sésame de la fondation à propos d’un autoportrait qu’il revendiquait comme un original de Warhol. Il s’agissait de la seule commission qui authentifiait officiellement les œuvres de cette figure emblématique du Pop Art, qui affluent sur le marché, atteignant régulièrement des prix millionnaires.

La décision de dissolution a pris effet début 2012, à la suite d’une révision stratégique des priorités de la fondation, créée quelques mois après la mort de Warhol en 1987. Celle-ci a préféré investir les fonds jusque-là alloués aux experts dans l’octroi de subventions aux artistes ainsi que dans d’autres activités en faveur des arts visuels.

Conflit d’intérêts ?

Le problème dépasse le marché de l’art. Les sommes en jeu au sein des tribunaux sont colossales et les comités, via leur pouvoir, ont régulièrement été accusés de ne pas gérer les octrois de certificats en toute impartialité. Certains propriétaires d’œuvres dont l’authentification a été refusée ont mis en relief le fait que le refus des comités était uniquement motivé par la volonté de limiter l’offre d’œuvres, et donc de soutenir les cotes de leurs artistes. Un des principaux problèmes tient à la difficulté et à l’aspect « subjectif » de cette certification. Dans le cas de la fondation Andy Warhol, au moment de sa création, suivant la volonté de l’artiste, l’organisation mettait en vente des œuvres afin de se constituer une trésorerie permettant de mener diverses actions de valorisations du travail de l’artiste, ainsi qu’à visées sociales. Mais, tandis que le comité d’authentification refusait de délivrer le certificat à de nombreux travaux, une « class action » fut menée par un groupe de propriétaires d’œuvres. Le comité s’abstenait d’authentifier les œuvres au motif que trop de mains extérieures assistants avaient participé à leur réalisation. Cette position pouvait par ailleurs sembler étonnante au regard de la production de l’artiste, qui appelait son studio « la Factory ».

Au tribunal, l’ensemble des propriétaires frustrés a considéré que le comité refusait d’authentifier les œuvres dans l’unique but de gonfler la valeur des travaux qu’elle mettait elle-même sur le marché. On a également reproché à certains comités d’accorder l’authentification uniquement avec un contrat stipulant un intéressement à la revente, ou même de réclamer un pourcentage de sa valeur !

Les comités d’artistes occupent aujourd’hui un rôle clé dans le marché de l’art, aussi bien par leur importance dans la diffusion de l’œuvre, que dans le pouvoir qu’ils exercent grâce à leur légitimité et leur expertise. Mais, ce pouvoir n’est pas sans risque et ces organismes doivent affronter critiques et actions judiciaires, mettant en lumière une activité à finalités mercantiles, quand leur but premier touche à la diffusion de l’œuvre.

Art Média Agency

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