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Les jeunes collectionneurs : une espèce en voie d’émergence

24 septembre 2015
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Les jeunes collectionneurs : une espèce en voie d’émergence

Le 24 septembre 2015

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ama copieQue faisiez-vous le 19 mars 2015 ? Les jeunes socialites adeptes des nuits mondaines new-yorkaises vous répondraient certainement qu’ils se délectaient d’une coupe de champagne au son de DJ Afrika Bambaata à la « Young Collectors Party » organisée par le musée Guggenheim. Le mot est lâché : jeune collectionneur.

Un gros mot pour certains ; une drôle de population à courtiser pour d’autres. Glissée parmi la foule des YCC — comprenez membres du « Young Collectors Council » du musée Guggenheim — Kaitlin Phillips d’ARTnews, ne peut s’empêcher de cacher son scepticisme : « Les jeunes collectionneurs n’ont, en fait, pas grand-chose à dire. Beaucoup d’entre eux ne semblaient même pas savoir pourquoi ils étaient là. Les plus vieux, eux, savaient au moins pourquoi ils n’étaient pas là. » Au delà de la caricature d’une jeunesse dorée qui aime s’amuser du haut de ses Louboutin et se prélasser dans un bain de vacuité, qui sont vraiment ces jeunes collectionneurs que des institutions de renom n’hésitent plus à mettre à l’honneur ? Et ces jeunes collectionneurs, sont-ils tous des héritiers ou des jeunes loups en phase avec les préoccupations de leur temps ? Autant d’éléments qui ont intrigué la rédaction et poussé Art Media Agency à se pencher sur la question.

Une génération courtisée

En janvier 2015, Larry’s List — société qui recueille des données sur les collectionneurs — publiait sa liste des dix jeunes collectionneurs à surveiller. Par jeunes, entendez les moins de 40 ans. Alors, qui sont-ils ? Des entrepreneurs ou des financiers basés essentiellement aux États-Unis, mais aussi en Europe, en Asie et au Mexique. Sur ces dix jeunes collectionneurs, deux sont des jeunes collectionneuses. Leurs noms ? Daniela Hinrichs (Allemagne), Nilani Trent (États-Unis), Robbie Antonio (Philippines), John D. Arnold (États-Unis), Adrian Cheng (Chine), Moisés Cosio (Mexique), Taymour Grahne (États-Unis), Maxwell Graham (États-Unis), Kai van Hasselt (Pays-Bas) et Tobias Gombert (Suisse). Selon Art Collector Report 2014 de Larry’s List, 10 % des collectionneurs, à travers le monde, sont âgés de moins de 40 ans, soit 8 % qui ont entre 31 et 40 ans et 2 % qui ont moins de 30 ans. Une petite frange donc.

Mais, à l’heure où les contraintes budgétaires rendent le soutien du public encore plus crucial pour beaucoup d’organisations, qui se voient obligées de surveiller l’efficacité de leur modèle économique, autant courtiser ceux qui ont déjà les moyens et qui risquent fort d’en avoir de plus en plus. Des foires telles que PULSE Art Fair ou l’AIPAD, voire des musées comme le Guggenheim, courtisent désormais les jeunes collectionneurs par des annonces de cocktails branchés où ces derniers peuvent étancher leur soif d’art et de vie publique. C’est dans cette dynamique que le Guggenheim a créé son Young Collectors Council, club réunissant des jeunes professionnels âgés de 21 à 40 ans et qui vise à sensibiliser cette population à la culture et à l’art contemporain. Les membres du club peuvent ainsi rencontrer des artistes de leur temps, des collectionneurs de renom et des figures de proue du monde de l’art, à travers des programmes éducatifs et des événements mondains. Ceux qui le souhaitent peuvent même participer au Comité d’acquisition du musée, qui se réunit deux fois par an pour voter les nouvelles acquisitions du Guggenheim.

D’autres de la même génération n’ont pas perdu le Nord et ont sauté sur l’opportunité pour créer leur business. C’est le cas de Marlies Verhoeven et de Daisy Peat, deux anciennes de Sotheby’s, à l’origine du fameux club très « select », The Cultivist. Ces dernières recevaient apparemment tellement d’appels de jeunes collectionneurs issus de l’industrie des nouvelles technologies les suppliant de trouver des accès VIP aux événements qui comptent, qu’elles ont eu l’idée de les aider à mieux diriger leurs forces et leur porte-monnaie. À New York, Londres ou ailleurs, ces deux jeunes collectionneuses aident d’autres jeunes collectionneurs à pénétrer l’univers feutré des visites privées, des dîners de collectionneurs et des visites d’atelier. Une manière de rendre l’art plus accessible à cette minorité aisée.

Des héritiers, mais pas seulement…

Mais alors, collectionner, est-ce une affaire de famille ? Pour Alexandra Fain, jeune collectionneuse et co-fondatrice de la nouvelle foire Asia Now [qui se tiendra à Paris, du 20 au 22 octobre 2015, entre la Frieze et la FIAC], c’est même une question de « virus familial » : « Je m’intéresse actuellement à l’art vidéo et en même temps, c’est mon père qui m’a fait connaître Bruce Nauman ou Bill Viola […] On ne peut pas s’empêcher, avec mon père et ma sœur, dès qu’on voit un nouvel artiste, de se le dire et de s’échanger les informations. Nous partageons même certains artistes en commun, découverts par les uns et les autres. » Et ces passionnés héréditaires sont nombreux, si l’on regarde, par exemple, parmi les membres du YCC et notamment les membres du comité d’organisation de la « Young Collectors Party », qui retrouve-t-on ? Alexandra Economou, la fille du collectionneur grec George Economou qui participe aux affaires familiales. Elle confiait en 2011 à Artinfo : « J’aimerais conserver ce qu’il a fait car cela le représente […] et en même temps, j’aimerais créer quelque chose qui me ressemble. »

Depuis Beyrouth, Laure d’Hauteville, fondatrice de Beirut Art Fair, observe, quant à elle, l’arrivée de jeunes professionnels qui cherchent une manière esthétique d’investir : « En 2013, nous avons eu, pour la première fois, une nouvelle vague de collectionneurs que l’on ne connaissait pas. Ce sont des jeunes, qui ont entre 25 et 33 ans, et qui ont fait leurs études à l’étranger. De retour au Liban, ils occupent des postes importants ou reprennent l’entreprise familiale, en la développant de manière plus moderne. Ces jeunes commencent à gagner correctement leur vie et s’intéressent à l’art. Ils ont envie de monter une petite collection avec un budget modeste et ils sont contents de pouvoir trouver de belles pièces abordables à Beirut Art Fair. »

Passion pour l’art ou recherche d’investissement seraient donc les déclencheurs d’une collection ? Peut-être que la fameuse « crise » n’y est pas pour rien non plus… Après tout, c’est bien cette génération qui en subit de plein fouet les conséquences. Selon Anne-Hélène Decaux, spécialiste en art contemporain chez Sotheby’s : « Avec la crise, certaines personnes se tournent plus facilement vers l’acquisition d’œuvres d’art, apparaissant parfois comme un placement intéressant, une valeur refuge. » Un intérêt pour lequel les médias ne seraient pas innocents, Anne-Hélène Decaux constate : « Les médias s’intéressent de plus en plus à l’art contemporain et au marché de l’art en général. » Conséquence ? « L’intérêt pour l’art contemporain est plus fort qu’il y a quelques décennies. Vous demandez aujourd’hui à quelqu’un dans la rue de citer le nom de trois artistes vivants, il est capable de le faire. Il y a quinze ans, très peu de gens étaient capables d’en citer un seul. » Il n’aura donc pas échappé à cette génération que l’art reste une valeur refuge qui permet de se constituer un patrimoine de manière optimale. Dans beaucoup de pays, d’ailleurs, collectionner de l’art ou l’exposer publiquement permet souvent de s’affranchir de certaines questions fiscales embarrassantes. Pas fous ces jeunes ? Non, juste conscients des problématiques de leur époque.

Une génération impliquée et sur tous les fronts

Les jeunes collectionneurs ne font apparemment pas que collectionner, certains ont besoin d’être des acteurs à part entière du monde de l’art. Alexandra Fain, par exemple, associe son amour de la collection à une curiosité concernant la scène artistique asiatique, d’où l’idée de créer une foire qui lui soit consacrée. De même, si l’on reprend le Top 10 de Larry’s List, Taymour Grahne s’est découvert une grande curiosité par rapport à la scène artistique du MENA (Middle-East, North-Africa). Ce jeune collectionneur qui a fait des études en relations internationales ne pensait pas tomber dans la marmite de l’art, mais il a eu le déclic lorsqu’il a découvert la collection d’art moderne syrien de l’un de ses amis. Il a confié au Magazine Canvas : « J’ai lu des articles sur l’explosion du marché de l’art au Moyen-Orient et j’ai décidé de prendre le temps à Beyrouth d’explorer un peu plus la scène artistique […] J’ai alors fait le tour des galeries et discuté avec elles, j’ai visité des ateliers d’artistes et même rencontré des collectionneurs. » C’est ainsi que dans la foulée, il a commencé à devenir un spécialiste de la région et à écrire dessus via son blog Art Of The Mid East, tout en collectionnant.

Et où vont-ils chercher les œuvres ? Les enchères peuvent être un début pour certains… C’est le cas de Lin Han, 28 ans, qui a découvert en 2013 la série Mask de l’artiste chinois de Zeng Fanzhi en couverture d’un catalogue de ventes Sotheby’s. Il a fini par se l’offrir pour la bagatelle de 1 M$, soutenu par ses parents qui ne collectionnent pas, mais paient à hauteur de 20 à 30 % ses achats. Une manière, selon ses dires, de « marquer son entrée dans le marché de l’art. » Alexandre Errera, fondateur de New Circle — club de jeunes collectionneurs offrant l’accès à des événements privés et des ventes — a confié au Wall Street Journal : « Je ne connais personne aux États-Unis ou en Europe qui commencerait sa collection par la couverture du catalogue de Sotheby’s […] Dans la course aux nouveaux collectionneurs, ceux qui commencent de cette manière sont, à coup sûr, des mines d’or. » Loin de ce cas en or, d’autres fréquentent les salles de manière moins tonitruante, selon Anne-Hélène Decaux : « Nous voyons de plus en plus de jeunes collectionneurs en salle de ventes, mais plus qu’en salle, ils enchérissent aussi de plus en plus par téléphone ou sur Internet. […] Le design et la photographie sont des domaines très recherchés. La photographie, pour les collectionneurs néophytes, est souvent un point d’entrée plus accessible que l’art contemporain. Certaines images sont tellement connues qu’elles sont devenues cultes. »

Et les foires ? Voilà un cas de figure qui n’effraie pas Alexandra Fain : « Je fréquente beaucoup les galeries et aussi les foires. J’entends beaucoup parler de « fair fatigue », mais, personnellement, j’adore le système de la foire qui rassemble en un même lieu et dans un temps défini, beaucoup d’expositions. Les offres s’y font concurrence et cela permet de mieux en apprécier la force et la puissance. Cela contraint également à faire des choix rapidement. Il y a une bonne adrénaline et une bonne tension dans les foires. »

Des acteurs du rayonnement culturel

Selon Art Collector Report 2014 de Larry’s List, c’est en Europe que l’on trouve la plus grande proportion de collectionneurs (38 %), viennent ensuite l’Amérique du Nord (28 %) et l’Asie (18 %), suivi de l’Amérique latine (8 %), le Moyen-Orient et l’Afrique (5 %). Justement, cap sur le continent africain à la découverte d’un autre phénomène intéressant. Il concerne ces jeunes collectionneurs qui détournent leur passion personnelle à des fins moins mondaines, voire philanthropiques. Bien souvent, ces enfants de l’élite ont fréquenté les meilleurs établissements occidentaux et ont pu, dans le même temps, se sensibiliser à l’art contemporain. Certains se sont alors mis à collectionner, mais dans une optique qui n’a rien d’anodin — voire même comporte un fond de revendication. Sindika Dokolo confiait au Monde en mars 2015 : « Comment nous, Africains, arrivons à intégrer les circuits et le monde de l’art sans baisser notre pantalon. Pour quelqu’un de ma génération, c’est être sur un champ de bataille où j’ai l’impression de repousser des lignes que mes enfants n’auront pas à repousser. La bien-pensance est le trait commun de beaucoup de gens dans l’art à l’égard de l’Afrique. » La collection de ce quadragénaire est considérée comme la plus grande collection d’art contemporain basée en Afrique, à Luanda en Angola, et regroupe quelque 3.000 pièces.

Ce jeune collectionneur impliqué et au verbe haut n’est, cependant, pas le seul à faire rayonner les couleurs de sa culture. Prenons l’exemple de Theo Danjuma, à peine trentenaire et fils de Theophilus Danjuma, magnat du pétrole et ancien ministre de la défense nigérian. Ce dernier a choisi d’ouvrir en 2016, un espace privé dédié à sa collection à Lagos — où les goûts sont selon lui, plus conservateurs — plutôt qu’à Londres afin de créer un dialogue. Citons encore Marie-Cécile Zinsou, la fille de l’ancien associé-gérant de la banque d’affaires Rothschild et actuel Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou. Elle avoue à The Art Newspaper que la création du musée familial a été l’occasion d’une « découverte » pour les locaux pour qui l’aspect dépouillé de l’art contemporain leur faisait dire que le musée était vide… « Aujourd’hui, l’art contemporain est accepté » ajoute-t-elle. Sur un continent où 47 % de la population est âgée de moins de 18 ans et où les initiatives privées ont plus de chances d’aboutir que les projets publics, l’éducation et la sensibilisation à la culture forment un enjeu de taille. D’autant que selon le rapport Génération 2030-Afrique, publié en 2014 par l’UNICEF, en 2050, 40 % des enfants de moins de cinq ans dans le monde vivront sur le continent africain…

Bien loin de l’image des socialites à conscience réduite, les jeunes collectionneurs comptent beaucoup d’acteurs impliqués. Il serait vain de vouloir dresser le portrait-robot d’une génération qui n’a rien d’homogène. D’ailleurs, quelle génération a la prétention de l’être ? Mais, une chose est sûre parmi ces jeunes collectionneurs, ils s’en trouvent qui ont des choses intéressantes à dire et qui endossent un rôle que leurs aînés ne se sont pas sentis obligés d’assumer… Une espèce en voie d’émergence.

Art Média Agency

 

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