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Johan Grimonprez – Double Take

15 septembre 2010
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Reprenant la trame de son précédent film, Looking for Alfred (2005), Johan Grimonprez y intègre une complexité nouvelle. Le liant de ce tableau a priori disparate est la silhouette bien connue d’Hitchcock. L’ombre d’Hitchcock, le sosie d’Hitchcock, Hitchcock face à lui-même, le Hitchcock du cinéma comme le Hitchcock présentateur de télévision, autant de formes exploitables dans cette étude de la polymorphie plus encore que du double. A la prolifération des visages de cet homme devenu mythique répond un réel insaisissable parce que rendu protéiforme par la multiplication des images. Avec humour, Johan Grimonprez pose des questions aussi bien esthétiques que politiques. Mais là aussi, le tissage les rend indissociables.


Tout commence quand Hitchcock rencontre son double dans la rue, puis est amené à prendre un café avec lui. Vous avez dit café ? Une réclame sur le « Café des Montagnes » surgit, alors que le spectateur a les yeux exorbités de fascination devant l’écran. Fort de son humour anglais, Hitchcock le dit lui-même, « il ne faut surtout pas se laisser prendre au suspens ». Puis l’on revient à la discussion entre Hitchcock et son double, de vingt ans plus âgé que lui. They say when you meet your double, you should kill him. C’est bien lui, là, sur l’écran, dans une fiction qu’il n’a jamais jouée. Grimonprez utilise les images de ses présentations de programmes télévisés dans lesquelles Hitchcock joue avec la mise en scène de sa propre mort, il utilise les plans où l’homme filme sa propre silhouette et, entre des plans qu’il tourne lui-même, il les réintègre dans des découpages nouveaux où les images télévisées, cinématographiques, contemporaines et passées sont confrontées de manière à ne plus se distinguer entre elles. La vérité se déplace, où est Hitchcock ? Lui qui est mort à 80 ans, il est même présent au centième anniversaire de sa naissance célébré à Locarno avec l’actrice principale des Oiseaux ! Il est incarné pour l’occasion par Ron Burrage, devenu son sosie professionnel, qui entretient avec Hitchcock plus qu’une simple ressemblance. Né le même jour, Ron a travaillé au Savoy où Hitchcock allait souvent dîner. La réalité elle-même crée des doubles par la coïncidence et le déjà vu, thème très important pour Grimonprez qui en extrait une valeur politique.

 

La Consommation de la peur

 

Car politique il y a, dans ce film extrêmement touffu aux significations aussi multiples qu’il y a de Hitchcocks ! La politique est d’ailleurs la trame sur laquelle s’est tissé tout le récit hitchcockien. Les doubles qui concoctent le meurtre parfait de leur alter ego, ce sont aussi les blocs de l’est et de l’ouest lors de la guerre froide. La politique est une autre fiction (un mensonge !), un spectacle fabriqué par la télévision comme le fameux « Kitchen Debate » de 1959 qui oppose le Vice-Président Richard Nixon et Nikita Krouchtchev. Déambulant au milieu des cuisines de l’exposition américaine, les deux protagonistes se produisent dans les cuisines mêmes des américains par le biais du petit écran. L’intime se fait le double du politique, en une réitération qui tient de la concomitance fortuite, et du déjà vu évoqué plus haut. Cette notion est réactualisée dans les images du 11 septembre 1948 qui montrent, plus de cinquante ans avant la chute des Tours, des oiseaux fondant sur l’Empire State Building comme autant d’escadrons. Vingt ans avant leur film, les Oiseaux d’Hitchcok s’attaquaient à ce qui était alors l’emblème de la télévision !

 

La réalité est un déjà vu, comme si dans notre monde saturé d’images, le cinéma avait été plus vite qu’elle. Reprenant la logique labyrinthique de Borges dont le scénario s’inspire, les images s’entremêlent et rabaissent le vrai et le faux au même niveau. Où est le réel ? Cette perdition se concrétise pour Grimonprez, enfant des années 60, dans l’apparition de la télévision, instrument de la « consommation de la peur » qui envahit les foyers. La télévision devient le symbole de prolifération des images que l’on attribue aujourd’hui à internet. Mais internet n’est qu’un déjà vu de la télévision pour Grimonprez qui travaille sur la réactualisation de l’image.


En faisant du montage l’arme de son discours, Grimonprez cherche le réel dans la distance et dans une ironie bien belge, de ce pays où tout est « sous-titré » dit-il, en flamand et en français. Un pays en double.


Viviane Saglier



Un film de Johan Grimonprez

Belgique / Allemagne / Pays-Bas – 2009 – 1h20

Avec Ron Burrage, Mark Perry, Alfred Hitchcock, Richard Nixon, Nikita Krouchtchev, J.F. Kennedy…


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Sortie le 22 septembre 2010

 

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