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Mathias Kiss : L’art de la liberté

Agathe Pinet 15 mars 2021
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Mathias Kiss © Marin Mornieux

Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Mathias Kiss dans son atelier/maison comme il aime l’appeler. Nous y avons discuté de sa pratique, de ses inspirations et de sa position d’artiste en marge d’un marché de l’art dans lequel il ne se reconnait pas. Mathias est généreux et parle avec passion de son travail, c’est un plaisir d’échanger avec lui.

Lorsque je rencontre Mathias, il accueille pendant une semaine des élèves de 3e pour leur stage de découverte. Il leur présente son travail, invite ses ami.es artistes, créateur.rice.s et photographes pour leur transmettre des savoirs et une éthique de vie. Celle de la liberté et de l’amusement dans le travail. La transmission est centrale dans la vie de Mathias. Son cursus scolaire s’arrête précocement et il intègre les Compagnons après s’être formé à la peinture pendant trois ans. Là-bas, il découvre la rigueur, l’autorité et l’importance des règles qui lui semblent rapidement vaines. Pendant plus de 15 ans, l’artiste travaille méticuleusement à la rénovation de monuments historiques comme le Musée du Louvre. Et ce parfois jusqu’à l’absurde lorsqu’il doit faire du “faux vieux” pour rénover les dorures du Pont Alexandre III. Ce manque de sens, auquel se rajoute un lourd protocole, deviendra de plus en plus pesant pour le jeune homme qui ressent le besoin de s’exprimer et de faire entendre sa voix.

Golden Snake / série 90degrès
© Photos David Zagdoun

C’est ce refus de la tradition qui le poussera à réaliser sa première exposition en 2000 à la galerie Teisso. Ironiquement, ses œuvres ont pour origine cette rigidité qui l’a poussé à quitter les Compagnons. Il part de la tradition qu’il déconstruit complètement pour créer des œuvres à son image : libres et singulières. Son travail est une contestation de l’ordre et des anciens codes qui règnent chez les Compagnons, entre feuilles d’or et monuments historiques qu’il se réapproprie comme on se réapproprie des mots. C’est comme ça qu’il créé 90Degrés #1, l’héritage classique est flagrant, présent dans chaque angle, chaque moulure, chaque dorure ; mais il se confronte à la modernité de Mathias Kiss qui invoque des formes résolument contemporaines. L’œuvre Sans90degrés le représente de façon très parlante, on y voit son besoin de déconstruire pour mieux (se) reconstruire. Elle nous montre la nécessité de ne pas être mis dans une case pour pouvoir exister sans contrainte ni attente.

Bien que profondément réfléchies, ses œuvres parlent d’elles-mêmes, nul besoin de parler le langage de l’art contemporain pour les apprécier et les comprendre. Ici encore, le besoin de transmettre sans limite. En discutant avec Mathias Kiss, on comprend rapidement qu’il est primordial de faire selon sa propre envie, de se créer soi-même et surtout de toujours s’entourer de ses ami.es. Son discours transpire le désir de s’amuser, partout, dans le travail et en dehors. Probablement une réminiscence de l’austérité qu’il connaissait chez les Compagnons. Une opposition, à nouveau. Une notion que l’on retrouve également chez ses parents. Sa mère était encadreuse de tableaux et son père inventeur. Elle donnait un cadre à des œuvres alors qu’il cassait les codes. Il se trouve à la croisée de leur pratique respective, lui qui part du traditionnel pour inventer son propre monde.

Sans90degrés / Sculpture / 2008
© Photos

Mathias Kiss se revendique des “beaux-arts contemporains”, en marge d’un marché de l’art qu’il juge trop élitiste. D’une part parce qu’il met à l’écart les populations empêchées de la culture ; d’autre part parce qu’il ne reconnaît pas toujours ses œuvres comme telles, son parcours n’étant pas légitimé par les instances d’autorité du milieu. Loin de lui l’envie de se conformer à ce monde, il n’hésite pas à sortir du cadre pour respecter son intégrité, quitte à être isolé. Isolé, Mathias l’est depuis son adolescence en dehors des couloirs de l’école, mais de la contrainte peut naître la créativité et l’artiste en est le meilleur exemple. Finalement, en se plaçant consciemment en marge, il protège sa liberté et peut travailler sur des projets éclectiques ; qu’il s’agisse de la Kiss Room pour la FIAC Hors les Murs en 2013, ou la Radiant Room pour la maison Boucheron deux ans plus tard. Mathias Kiss est paradoxal, à la fois artisan et artiste, il évolue entre tradition et modernité pour créer une œuvre poétique.

Agathe Pinet

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