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Olympio : peindre comme on respire

Dorothée Saillard 29 juillet 2019
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Untitled, diptyque

“Peindre ce que je suis, peindre sans réfléchir” : c’est ce que fait Olympio depuis l’enfance. Du Togo à Paris puis à Los Angeles où il réside actuellement, il a le sentiment de se trouver à travers la peinture chaque jour un peu plus et nous raconte de quelle manière sa recherche artistique est indissociable de son épanouissement intérieur.

On sent beaucoup l’énergie dans ta peinture. Tu parles de musique sans parole…

L’énergie que tu vois dans mon travail, c’est mon énergie, mon langage. C’est comme de la danse : tu entends la musique et tu bouges en fonction de ce que tu sens. Quand je peins, il n’y a rien qui soit vraiment dirigé par moi. Je peins sans réfléchir. C’est mon ressenti sur la toile à cet instant précis. Je ne peins pas avec mon cerveau mais avec mes sentiments, je ne rationalise pas.

Quand tu peins, as-tu l’impression que ton corps bouge selon une musique interne, une musique à toi ?

Oui. J’ai ma propre musique intérieure. Je bouge comme je le sens à ce moment-là. Ce n’est pas vraiment un choix, je ne sais pas comment je vais bouger, je me laisse aller. C’est un peu comme ta manière de parler, tu n’as pas choisi ta voix, tu es né comme ça. Donc ce mouvement et cette énergie traduisent simplement ce que je suis.

Olympio – Photo : Andrew Reilly

Tu dois donc être seul pour peindre, connecté à la toile, sans musique ?

Exactement, je ne peux pas écouter de musique quand je peins parce que j’ai mon propre rythme et je me laisse porter par lui. Si je mettais de la musique, ce serait comme écouter deux musiques en même temps. Si tu écoutes deux CD à la fois, ça s’emballe et tu ne sais plus quoi écouter, donc je me concentre sur mes propres sensations.

Tu sens que tu ne peux pas exister autrement qu’avec la peinture ?

Je cherche à entrer en connexion avec moi-même et je me sens perdu quand je ne peins pas. Je me perds. Quand je n’ai pas de studio, je ne me sens plus moi-même et je ne sais plus qui je suis, surtout si je n’ai pas peint depuis une ou deux semaines.

La peinture est pour moi une manière de me retrouver, de me sentir vraiment solide sur mes jambes. J’ai toujours peint depuis mon enfance. En grandissant, j’ai compris que je ne pouvais pas faire sans, c’est ma nourriture.

Tu es la somme de tes expériences, du Togo à Paris puis à Los Angeles. Que vois-tu dans tes toiles ? Sens-tu ces influences ?

Ça, je ne sais pas. Je suis sûr que ces expériences influencent mon travail puisque c’est ce que je suis, mais je ne sais pas où elles se trouvent dans la toile. J’ai ma propre nature et j’ignore à quel moment ce parcours vient influencer tout ce que je suis.

Par contre, quand je regarde mes toiles, je me vois devenir plus proche de moi-même. Je me dis que c’est bien à cet endroit que je dois être en ce moment, et cela me rend heureux. Tout cela parle de mon parcours et de ce lieu où je dois être.

Untitled, 122×152 cm, acrylique et huile sur toile

Comment choisis-tu les toiles pour créer ce rapport à l’échelle de tes mouvements ?

La toile doit être suffisamment grande pour couvrir les mouvements de mon corps et de mes doigts. Par exemple, je fais de grands tracés au pastel qui reviennent souvent dans mes toiles, car c’est mon énergie. Si je sors du cadre lorsque je bouge, cela devient un problème.

Je dois donc avoir suffisamment d’espace pour être toujours dans le cadre, et je dois pouvoir faire quelques pas, être libre de faire des mouvements aussi grands que petits en fonction de ce que je sens. En général, il me faut des toiles d’au moins 1,20 m de large.

Parle-nous des outils que tu utilises pour peindre… 

Je peins la toile sur le sol. J’utilise le pinceau, le racloir, mes mains, mes pieds, et tout ce qui peut m’aider à finir mon travail. Il y a des choses que tu ne peux pas faire avec le pinceau. Si la toile a besoin de mon pied, je me sers de mon pied. Très souvent aussi j’utilise ma langue. Parfois, un peu de peinture tombe sur la toile. Je respecte l’accident aussi, mais si la toile n’en a pas besoin, je l’enlève avec ma langue quand seule elle peut le faire.

Untitled, 122×152 cm, acrylique et huile sur toile

Tes toiles n’ont pas de titre, puisqu’elles n’ont pas de sujet… ou que tu es le sujet ?

Mes toiles n’ont pas de sujet, parce qu’il y a tout ce que je suis, donc à la fois tout et rien, et pour cette raison, les titres des tableaux sont toujours Untitled. En effet, je ne saurais pas me donner un titre puisque je peins mes émotions, et tout ce que je sens.

Il y a quelques années, je peignais de petits personnages et je leur donnais un titre : les gens adoraient ça, ils aiment les titres. Mais c’est parce que ces personnages m’inspiraient un titre, donc je n’avais pas besoin de le chercher. Les toiles que je peins maintenant ne demandent pas de titre.

La partie infinie et inconnue de nous-mêmes n’a pas de titre ? 

Oui, c’est ça, et nous devons apprendre à apprécier les choses sans les intellectualiser, c’est ce que j’explore quand je peins et que je me laisse aller avec mes toiles.

Donc tu te laisses traverser par tes sentiments, et la partie de toi sur laquelle tu ne mets pas de mots ?

Oui, parce que c’est dans cet espace que je me sens à l’aise. De plus, avec le temps, tu comprends que c’est la seule manière que tu aies pour te connaître et apprendre de toi-même, ce moment même où tu acceptes de lâcher prise.

Untitled, 152×122 cm, acrylique et huile sur toile

Sens-tu réellement que tu es parti d’un endroit avec ta peinture, pour te rapprocher de toi ?

Oui. Il y a quelques années, j’aimais ce que je faisais, mais ce n’était pas complètement moi. Je peignais pourtant de la même manière, même s’il y avait un côté figuratif, mais je trouvais mon style plus limité. Il me manquait quelque chose.

Ce que je fais aujourd’hui, je peux dire que c’est complètement moi, je me reconnais dans mes toiles. J’ai réussi à me rapprocher de moi-même, de mon cœur et de mon âme. Quand je peins maintenant, c’est moi à 100 %. Toute ma vie, j’ai cherché à devenir moi-même en tant qu’artiste.

Au fond, peindre tes sentiments sur la toile, cela “n’a pas de sens”, si ?

J’ai un sens préféré, celui qui me parle le plus, et pour le reste, je laisse les autres libres de choisir. Mais c’est bien que tu aies posé cette question car la chose la plus amusante pour moi, celle que j’aime le plus, c’est d’être dans mon studio et de changer le sens de mes toiles, pour jouer avec cela.

Olympio – Photo : Megan Abrigo

Comment sais-tu quand une toile est finie ? 

Tout le monde se pose cette question. Comment sais-tu que tu n’es pas sur le tempo quand tu danses ? Je sais qu’une toile est finie quand je sens que j’ai atteint une forme d’équilibre, d’harmonie. Dans ce que je fais, tout revient au ressenti. Je peins donc sans m’arrêter jusqu’à ce moment où mon énergie se relâche. Alors je sais que c’est fini, et j’arrête de peindre.

Tu utilises souvent la métaphore de la musique et du rythme, n’est-ce pas ?

Oui, parce que la musique est très proche de la façon dont je ressens mon travail. Mais je compare uniquement les sensations. J’aime la musique mais je n’en écoute pas tellement. En fait, j’aime beaucoup danser et la danse est une manière d’écrire, un langage tout comme ma peinture, mais danser n’a rien à voir avec ce que je fais et je ne danse pas quand je peins.

Propos recueillis par Dorothée Saillard

 

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