Rencontre avec Hélène Merlin, réalisatrice et scénariste de “Cassandre”, pour parler de cinéma, d’émancipation et d’éducation
Billie Blain dans "Cassandre" de Hélène Merlin © Shanna Besson
Été 1998, finale de la Coupe du monde de football. Cassandre, 14 ans, pensionnaire, rentre chez ses parents pour l’été dans leur grand manoir. Elle retrouve son père, dominant et autoritaire, sa mère, très intrusive et son grand frère, plus réservé, suivant l’éducation de ses parents. Son père l’inscrit à un stage dans un centre équestre ; elle rencontre Laetitia et d’autres amis et se rend compte, petit à petit, que le climat familial n’est pas aussi sain qu’il devrait être.
Cassandre est votre premier long métrage, inspiré de votre histoire personnelle. Est-ce que le désir de réalisation existait déjà, ou ce film s’est imposé comme une évidence, presque nécessaire ? Et aujourd’hui, avez-vous envie de poursuivre dans la réalisation ?
J’ai toujours été très créative, proactive, curieuse et avide de découvrir un peu de tout, mais je n’avais pas forcément l’objectif de devenir réalisatrice. À 18 ans, j’ai écrit et mis en scène une pièce de théâtre et monté une petite compagnie amateure. J’ai fait une formation de médiation culturelle, dans laquelle j’ai animé de nombreux ateliers avec des enfants et des adolescents, dans une démarche d’apprentissage et de transmission.
J’ai également travaillé en radio où j’ai réalisé des chroniques culturelles et des petits reportages. Enfin, en tant que comédienne, c’est justement parce que je ne retrouvais pas dans les films une représentation de ce que j’avais vécu — ayant moi-même été confrontée à des violences sexistes et sexuelles — que j’ai ressenti le besoin d’écrire cette histoire.
Vu le bon accueil de la presse et du public, ainsi que le plaisir à écrire et à tourner le film, j’en ferais probablement d’autres. J’ai déjà commencé à écrire sur un projet, mais je ne sais pas encore si ce sera un film ou une pièce de théâtre. J’ai commencé dans le théâtre, je rêve donc de jouer à nouveau comme comédienne, mais la liberté totale dans l’écriture d’un roman m’intéresse aussi.
Ce que j’aime particulièrement dans le théâtre, c’est sa dimension humaine, sans pression financière.
Cela fait environ neuf ans que vous portez ce film, pourquoi autant de temps ?
Écrire un film nécessite du temps pour qu’il soit le plus mûr possible. Lors des premières commissions au CNC, ils ne comprenaient pas pourquoi j’employais ce ton drôle, ils étaient très gênés par le sujet et pas en capacité d’accueillir ce récit-là.
Puis, il y a eu MeToo, MeToo Inceste, le film Le Consentement, Triste Tigre de Neige Sino, et La Familia grande de Camille Kouchner, qui ont permis de faire évoluer les consciences. Aujourd’hui, entre l’affaire Bétharram, et les accusations sur Depardieu ou Jacquot par exemple, je pense que la société ne peut plus fermer les yeux.
Finalement, je n’ai pas eu d’aides du CNC, j’ai donc quitté mes producteurs qui ne pensaient pas pouvoir faire le film avec peu de budget, et rencontré Filles Productions qui a permis à Cassandre de voir le jour.
Comment s’est déroulé le casting pour les rôles de Billie Blain et de Florian Lesieur ? Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Quand je les ai reçus pour la première fois, ils n’étaient pas au courant du sujet du film. En effet, je sais combien il y a un imaginaire dramatique et faux de ces sujets. Il y a eu des agents qui avaient prévenu leurs acteurs sur le sujet du film : soit les acteurs ne se présentaient pas au casting, soit ils venaient en surjouant le drame et incarnaient une personne complètement torturée, ce que je ne recherchais pas du tout.
Une fois que Billie Blain et Florian Lesieur ont été sélectionnés, j’ai petit à petit amené le sujet en leur expliquant comment je voulais le raconter, le filmer et notamment l’idée de ne pas érotiser les corps. Je leur ai parlé de mon expérience, partagé une liste de films à voir et des articles pour nourrir leur imaginaire et mieux appréhender leur personnage.

Florian Lesieur et Billie Blain dans Cassandre de Hélène Merlin © Shanna Besson
Quelles sont vos inspirations et influences cinématographiques ?
Sweetie de Jane Campion m’a influencée, notamment pour l’ambiance familiale, les rapports entre sœurs, et sa manière de filmer dans laquelle elle met une forme de distance et d’étrangeté. Ensuite, Fish Tank d’Andrea Arnold, dans lequel j’aime l’énergie de guerrière du personnage principal.
Visuellement, Mysterious Skin de Gregg Araki m’a inspirée pour les tops shots et les ralentis. Puis, Canine de Yórgos Lánthimos a été une référence pour construire un climat toxique. Du côté d’Almodóvar, je retiens le baroque des personnages et une mise en scène affirmée. Et enfin, La Famille Tenenbaum de Wes Anderson, dans lequel j’aime ses personnages névrosés, drôles et très caractérisés.
Aviez-vous déjà une esthétique en tête ? Comment avez-vous collaboré avec David Cailley, le directeur de la photographie ?
David Cailley est très sensible, attentif et à l’écoute. Il a vraiment essayé d’être au service de cette histoire. Il est extrêmement délicat dans sa manière de filmer. Je lui ai donné beaucoup de références de photos de films, grâce aux banques d’images qui permettent de préparer des moodboards. Je lui faisais des propositions mais lui aussi m’a partagé des images. J’avais des idées extrêmement précises, inspirées de tous les films dont j’ai parlé. J’aime beaucoup le clair-obscur et l’audace dans le geste de mise en scène. Enfin, je me suis nourrie de mes sensations, en voulant retranscrire le sentiment de dissociation et de sidération que j’ai vécu.
Pourquoi “Cassandre” ?
Je porte un prénom mythologique, je voulais logiquement en trouver un.
Dans la mythologie, Apollon tente de séduire Cassandre. Pour qu’elle s’offre à lui, il lui donne le don de prédire l’avenir, mais Cassandre refuse. Pour la punir, Apollon décrète que toutes ses prédictions ne seront pas crues.
L’idée derrière le choix de ce prénom était à la fois d’évoquer la figure d’une femme qui ne se soumet pas à l’homme, mais aussi d’invoquer une parole qui ne soit pas crue.
Le film raconte aussi l’émancipation de Cassandre, son chemin vers la liberté. Est-ce que, d’une certaine manière, réaliser ce film a été pour vous aussi une forme d’émancipation, personnelle comme professionnelle ?
Évidemment c’est une étape dans mon émancipation et dans la construction de ma carrière, mais ce n’est pas ça qui va me faire guérir non plus. Benoîte Groult a dit “ça dure toute la vie une évasion”.
La dernière scène du film peut être imaginée comme réelle, mais le fait que j’ai travaillé sur les ralentis dans la chambre, dans le couloir et dans le chemin cela pourrait aussi être un symbole que cette échappée peut durer 10 ans. C’est l’idée qu’à 14 ans elle s’imagine que sa meilleure amie vienne la chercher, alors que ce n’est pas forcément le cas.
Je voulais que ce film transmette une force, mais qu’il ne fasse pas culpabiliser les victimes si elles ne fuguent pas. Le tunnel est long pour s’en sortir avant de trouver le soleil.

Eric Ruf dans Cassandre de Hélène Merlin © Shanna Besson
Aviez-vous eu peur d’être trop impliquée émotionnellement ? Comment avez-vous gardé une certaine distance ?
Non, j’avais beaucoup travaillé sur mon histoire. J’avais désensibilisé toutes les scènes. J’avais une exigence dans le travail, mais qui ne tient pas au fait que ce soit mon histoire, mais juste au fait que je sois perfectionniste.
Les acteurs s’approprient les personnages, il y a une part de réinvention. Florian, par exemple, est un acteur très créatif et a beaucoup inventé par rapport au scénario. Les petites figurines que le personnage de Zabou construit au début du film viennent de Zabou elle-même. Je suis allée faire un jour une lecture chez elle, j’ai vu ses petites figurines dans sa bibliothèque, je les ai tout de suite voulues dans le film.
Certes, c’est inspiré de mon histoire, mais c’est nourri de nombreuses lectures sur la psychologie, les climats dysfonctionnels, de livres féministes notamment Mona Chollet et de Virginie Despentes, et d’un univers cinématographique.
Les acteurs se sont aussi emparés de leur rôle : je pense qu’Éric Ruf s’est inspiré de son propre père pour incarner son personnage, et Zabou aussi. C’est un schéma parental très fréquent, je n’invente rien !
Vous dépeignez le personnage de la mère, incarné par Zabou Breitman, comme une femme frivole et féministe, vouliez-vous parler des angles morts du militantisme ?
Non, mais les illusions d’une époque. Après Mai 68, on considérait qu’être “cool”, libre et libérée sexuellement, c’était la vraie libération. Cette génération a envoyé valser le carcan patriarcal au niveau de la libéralisation des mœurs. En vérité, la libération sexuelle n’était qu’une étape qui a fait qu’objectiver les femmes et de les rendre encore plus soumises au patriarcat. Toute la génération des années 70, 80, 90 est imprégnée de la culture du viol. Par exemple, dans la publicité, les allusions sexuelles étaient omniprésentes, qu’aujourd’hui on n’y prête souvent plus attention. Je pense que chaque génération a ses enjeux à relever. C’est une histoire de société, pas un jugement.

Billie Blain, Zabou Breitman, Laïka Blanc-Francard et Florian Lesieur dans Cassandre de Hélène Merlin © Shanna Besson
L’humour traverse certaines scènes. C’était important pour vous de l’intégrer dans le film ?
Bien sûr ! Apporter une touche d’humour, c’était l’idée de mettre une distance, d’apporter des moments de respiration et de légèreté, et non dans l’idée de cautionner quelque chose ou de banaliser. C’était aussi une manière pour moi de pas se laisser affliger par une réalité. C’est un rire émancipateur.
Si on laisse la vie se développer, elle est plus forte que tout. Je voulais donc transmettre un élan vital, notamment avec la bande son et la musique.
Ce n’est pas parce qu’on a vécu des choses traumatiques qu’on est condamné à souffrir. On peut choisir la vie et le rire.
Quels sont les outils, selon vous, pour pouvoir éduquer sur ces sujets ?
Il faut parler, aller voir un psy. Personnellement, la CNV (communication non violente) m’a beaucoup aidée aussi.
Si on essaye de comprendre d’où l’on vient, ce qu’il s’est passé dans notre famille, cela met en lumière des fonctionnements intrinsèques inhérents à la structure familiale. C’est ce que montre le film : la mère a été victime, le père aussi, mais comme ils n’ont pas réglé leurs problèmes, ils finissent par faire perpétrer cette violence familiale.
Le film a été projeté à l’Assemblée nationale le 1er avril 2025. C’est la députée Perrine Goulet qui l’a soutenu. L’idée était de réfléchir à l’accompagnement à la fois des victimes et des agresseurs, et de s’interroger sur ce que l’on transmet à nos enfants : apprend-on dès l’enfance le consentement, le rapport à l’autre ? Qu’est-ce qu’on met concrètement en place pour éduquer sur ces sujets, notamment à travers les cours d’éducation à la vie affective et sexuelle au collège et au lycée ?
Propos recueillis par Maude Foulquier
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