Ruslan Batystky – interview

Le réalisateur ukrainien Ruslan Batystky filme, depuis les débuts des évènements ukrainiens, un documentaire à plusieurs mains sur Maïdan. Son point de vue.

Mes deux derniers films étaient des courts-métrages de fiction. Mais j’ai une formation de documentariste, et après le déclenchement des évènements à Kiev, il était impossible à qui que ce soit de rester en dehors. Cela concernait tout le monde. Je me suis associé avec plusieurs amis, et depuis le 22 novembre, nous n’avons pas cessé de filmer. Nous voulions comprendre et faire comprendre ce qui se passait vraiment à Maïdan, les aspirations des opposants. Entre autres parce qu’aucun de mes amis étrangers ne comprenait ce qui était en train de se passer.

L’atmosphère est très mouvante. Plusieurs fois, j’ai cru que tout allait s’arrêter. Le meilleur moment pour percevoir cette atmosphère, c’est souvent la nuit. A trois ou quatre heures, quand tout le monde se calme, qu’il n’y plus personne sur la scène, on sent que c’est un endroit profondément libre. Quelqu’un va jouer au football, un autre laver sa tente…

C’est l’un des problèmes. Mais cela a aussi permis de développer de nouvelles voies politiques. Les leaders de l’opposition ne sont pas forcément si bien perçus à Maïdan. Parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir leurs propre agenda politique – et leurs rendez-vous avec le Président ont été vus avec méfiance. Il peut paraître étrange de parler de Maïdan comme d’une entité propre, mais le mouvement fonctionne un peu comme un organisme. Et ceux qui occupent Maïdan ont une conscience très aigüe de ce qu’ils veulent. Accepter que les leaders d’opposition prennent un poste dans le gouvernement, comme Viktor Ianoukovitch l’a récemment proposé, serait considéré comme un échec par la plupart.

Ma réponse sera très personnelle. Maïdan a prouvé que des membres très différents de notre société pouvaient œuvrer ensemble à un but commun. C’est le modèle d’une organisation très nouvelle pour l’Ukraine, une sorte de sphère publique qui n’existait pas avant. Aujourd’hui, les opposants ont abandonné leurs peurs, et je suis convaincu qu’ils iront jusqu’au bout. Parce qu’ils ont le sentiment qu’ils n’ont plus le choix : puisque désormais des gens se font frapper ou arrêter dans la rue pour leur soutien à Maïdan, ils doivent agir collectivement ou être attaqués un par un…

Nous monterons le film quand tout sera terminé, mais nous avons choisi comme fil conducteur quelques personnages, très différents les uns des autres. L’un est un moine, qui a fait sonner les cloches de son Eglise lors d’une attaque de la police, suite à quoi des ces centaines de gens sont venus prêter renfort aux manifestants. Il y a aussi l’artiste Roti, qui a posé sa statue « Nouvelle Ukraine » sur la place. Ou encore l’un des chefs des forces de défense internes à Maïdan. Mais nous cherchons encore des fonds pour mener le projet à terme… 

Sophie Pujas

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