Toutes Nos Envies – film de Philippe Lioret

La crise économique est-elle en train de devenir le nouveau thème fédérateur du cinéma international ? De la même manière que les événements du 11 septembre ont forgé une décennie de cinéma américain, la crise économique due à l’éclosion de la bulle spéculative semble inspirer les réalisateurs de tous horizons. Ainsi, en France, à un mois d’intervalle sortent deux films où plane cette angoisse sociale, telle une implacable menace : De Bon Matin (le 5 octobre) et Toutes Nos Envies (le 9 novembre). Ce n’est certes pas un hasard, la filmographie des deux réalisateurs concernés, respectivement Jean-Marc Moutout et Philippe Lioret, reflétant bien leur préoccupation constante de l’Humain, de sa liberté et de sa place dans le système social.

Cependant, si Jean-Marc Moutout fait de son personnage principal un banquier oppressé par un système destructeur, et choisit pour aborder le thème l’angle du harcèlement professionnel, Philippe Lioret, lui, préfère s’intéresser à la lutte menée par deux juges d’instance contre la toute-puissance des sociétés de crédit. Au cœur des deux films, la même interrogation sur la valeur accordée à l’Individu face à la dictature du Marché, mais deux traitements totalement différents, et un plaidoyer hélas moins réussi chez Lioret que chez Moutout.

Il y avait pourtant à l’origine de Toutes Nos Envies de très belles idées scénaristiques. La rencontre de Claire et Stéphane, pour commencer, filmée avec beaucoup de pudeur et le constant souci de respecter la simplicité de leur histoire : celle d’une jeune juge idéaliste qui veut changer les choses en aidant les démunis à se défendre contre le système du surendettement ; et d’un aîné blasé qui, se prenant d’affection pour elle, recommence peu à peu à croire en la possibilité de lutter. La beauté de cette relation est que le film ne nous la montre que platonique, en-dehors des clichés de la tromperie et des scènes de ménage qui s’ensuivent. Marie Gillain et Vincent Lindon interprètent cette romance sans parole avec une subtilité touchante.

La pertinente dénonciation du système d’endettement fait écho au contexte économique actuel, où le crédit pèse comme une épée de Damoclès sur l’Europe. L’ironie du sort étant que c’est la réglementation européenne qui permit à deux juges d’établir une jurisprudence encadrant l’offre des sociétés de crédit – le roman d’Emmanuel Carrère, et a fortiori le film, s’inspirant d’un fait divers réel.

Cependant, quoique Philippe Lioret s’en défende, son film n’évite pas l’écueil du pathos exacerbé. Claire, la jeune juge, souffre d’une tumeur au cerveau qu’elle préfère cacher à son entourage, en particulier à son mari Christophe – Yannick Rénier, un acteur à suivre – afin de ne pas maculer sa fin de larmes et de cris. Déclinant rapidement, elle use de tous les subterfuges pour dissimuler son mal. Un tel sujet prête facilement au mélodrame. Malgré tout, ce n’est pas de ce fait que Toutes Nos Envies s’englue dans le sentimentalisme : son principal problème est de dépeindre des personnages lisses, moraux en toutes circonstances, par conséquent désespérément manichéens, peu humains. C’est bien le comble pour un tel film, et il faut peut-être y voir le corollaire de son ambition : à vouloir développer trop de thématiques, il ne dit plus rien sur aucune d’entre elles. La crise économique, la maladie, la mort, la singulière romance de Claire et Stéphane, auraient chacun pu constituer seuls la trame narrative du film, mais ainsi mixés, ils perdent de leur sens et de leur intérêt.

Ainsi, quand De Bon Matin convainc par son intelligence, le pathogène Toutes Nos Envies ne fait qu’essayer de persuader. Dépité malgré le talent des acteurs et la bonne volonté de Philippe Lioret, on préférera donc le terrible thriller social de Jean-Marc Moutout.

Toutes Nos Envies

Film de Philippe Lioret

Avec Vincent Lindon, Marie Gillain, Yannick Rénier et Amandine Dewasmes

Sortie le 9 novembre 2011