À Chaillot, “Le Songe” enchanté de Jean-Christophe Maillot
Le Songe - chorégraphie J.-Chr. Maillot © Alice Blangero
Créé en 2006 pour fêter les vingt ans des Ballets de Monte-Carlo, Le Songe de Jean-Christophe Maillot est devenu un classique contemporain. Ce qui explique, et justifie pleinement, que le Théâtre de Chaillot, aujourd’hui Théâtre national de la Danse, présente ce chef-d’œuvre, sublimé par les décors d’Ernest Pignon-Ernest.
Même aujourd’hui, après plus de trente ans de créations par Jean-Christophe Maillot avec sa troupe monégasque, il est drôlement rare de voir cette compagnie, l’une des plus emblématiques au monde, se produire à Paris. Aussi rare que de voir l’univers de Shakespeare se déployer sur scène avec une troupe de ballet. Et plus rare encore qu’un chorégraphe d’envergure aborde Le Songe d’une nuit d’été. Dans ce classique incontournable, Thésée s’apprête à célébrer ses noces avec Hippolyte, la reine des Amazones.

Le Songe – chorégraphie J.-Chr. Maillot © Alice Blangero
En même temps, la belle Hermia refuse le mariage avec Démétrius, choisi pour elle par son père. Elle préfère s’enfuir avec Lysandre. De leur côté, et pour assurer les jouissances matrimoniales, les artisans répètent l’épopée de Pyrame & Thisbé. Mais dans leur dos, les elfes et lutins disséminent leurs potions magiques. Par ensorcellements et enlèvements à travers fleurs et faune, ils ravissent les mortels pour les faire entrer dans un univers enchanté.
Avec un ballet sur Shakespeare, on est encore pionnier
Un jour, sans doute, un metteur en scène nous fera comprendre que le philtre de Titania était, en son univers, ce que sont aujourd’hui Facebook et Cie. Il est vrai que, au théâtre, les metteurs en scène raffolent de cette comédie, la plus féérique et enjouée de Shakespeare. Mais curieusement, le monde du ballet garde ses distances. Les chorégraphes et compositeurs créant les classiques du XIXe siècle ont inventé leurs propres histoires et univers.

Le Songe – chorégraphie J.-Chr. Maillot © Alice Blangero
C’est au XXe siècle que Georges Balanchine, Frederick Ashton et John Neumeier ont signé les adaptations principales. Jean-Christophe Maillot, jadis soliste au Staatsoper de Hambourg chez John Neumeier (qui continue de diriger cette compagnie avec brio), était lui-même l’un des interprètes dans la version du chorégraphe américain.
Quand Maillot s’empare de ce triple conte, si sensuel et parfois érotique, il s’agit moins de retracer l’intrigue de Shakespeare que de faire résonner, par la danse, par les costumes et par la musique, les trois univers qui se croisent dans Le Songe d’une nuit d’été. Le monde des Athéniens est celui des lois, des intrigues et des mariages, mais aussi celui de l’excitation d’avant le grand événement. La communauté des artisans apporte les accents burlesques et l’univers des elfes ouvre les portes aux rêves et aux fantasmes.
Trois compositeurs majeurs
Pour accompagner les élans des Athéniens, Maillot choisit la partition de Felix Mendelssohn-Bartholdy, composée pour la pièce en ouverture (mais pour le théâtre, pas pour la danse !) à l’âge de 17 ans. Ce fut en 1826. En 1842, le roi de Prusse lui commande une partition complète pour accompagner la pièce. Fallait-il, pour un ballet, suivre le compositeur jusqu’au bout ? Assurément pas ! On ne vit plus à la même époque.
Il fallait avant tout mettre en valeur les contrastes entre les univers, comme le charme ludique des fées, lutins et elfes qui demande presque des effets spéciaux acoustiques. D’où le choix d’une partition acousmatique de Daniel Teruggi qui ouvre des espaces, sans jamais souligner abusivement les libertés prises par les personnages. C’est juste féérique et énigmatique.
Et quand les Artisans tentent leur aventure théâtrale, ils ne sont pas seulement soutenus par la musique de Bertrand Maillot, frère du chorégraphe, autant percussionniste que compositeur électronique, mais aussi par le travail de Nicolas Lormeau, comédien de la Comédie-Française qui avait travaillé avec la distribution originelle sur le jeu théâtral, également très présent. Et dans les airs, de fines traces de nues… quand la scénographie d’Ernest Pignon-Ernest prend des allures parfaitement oniriques.
Une troupe toujours renouvelée
Avec Les Ballets de Monte-Carlo, Jean-Christophe Maillot a en effet toujours tenu à s’entourer de personnalités expressives et marquantes, au-delà d’une brillante maîtrise de la technique, entretenue par un rigoureux travail au quotidien. En 2006, Le Songe a été créé avec les interprètes qui ont fait la renommée mondiale de la troupe. Il y avait là les stars qui brilleront à jamais sur le Rocher princier : Bernice Coppieters, Chris Roelandt et Gaëtan Morlotti. Et quelques jeunes comme Jeroen Verbruggen, aujourd’hui un chorégraphe à son tour incontournable.

Le Songe – chorégraphie J.-Chr. Maillot © Alice Blangero
Depuis, la troupe s’est renouvelée et les interprètes actuels, tous sélectionnés par le directeur artistique et stratège qu’est Jean-Christophe Maillot, assurent au plus haut niveau. Car ce ne sont pas les danseurs de grand talent qui manquent en ce monde. Le défi est ailleurs, dans la composition et la cohérence, dans l’identité d’une compagnie. L’expérience et la volonté de Maillot assurent la continuité, sans avoir peur de mettre en avant des individualités typées. Chez Maillot, les danseurs ne rentrent pas dans le rang, ils s’affirment ! Et c’est justement grâce à cette liberté que la troupe affiche une belle cohérence, sans être gangrenée par les luttes intestines qui peuvent sévir ailleurs. Ce n’est pas un songe, mais une réalité, belle comme un songe.
Thomas Hahn
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