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Argument de Pascal Rambert, fantastique

28 janvier 2016
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argument 5

Argument

Texte et mise en scène de Pascal Rambert

Avec Marie-Sophie Ferdane, Laurent Poitrenaux et en alternance Anas Abidar, Nathan Aznar

Jusqu’au 13 février 2016

Tarifs : de 9€ à 24€

Réservations en ligne
ou par tél au
01 41 32 26 26

Durée : 2h

T2G- Théâtre de Gennevilliers
41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers
M° Gabriel Péri

www.theatre2gennevilliers.com

Jusqu’au 13 février 2016

Sur un plateau embrumé qui rappelle les tableaux de Caspar David Friedrich, les comédiens d’exception Marie-Sophie Ferdane et Laurent Poitrenaux donnent chair au texte magnifique de Pascal Rambert, dramaturge incontournable et majeur de New-York à Moscou.

argument3Fervent observateur des relations homme-femme, disséqueur lyrique du couple, Pascal Rambert, après le succès international de Clôture de l’amour, pièce bouleversante, installe cette fois le duo dans le
contexte révolutionnaire de la Commune. Nous sommes dans le bourg imaginaire de Javille en Normandie. La belle Anabelle et son époux Louis se disputent et se déchirent, prenant à témoin leur enfant Ignace, petite victime silencieuse, criant tel un oiseau blessé et muni étrangement d’un fusil et d’une trompette.

Anabelle, grande lectrice de romans et de revues politiques, prend parti pour les insurgés et brandit un discours progressiste, engagé, « socialiste », lui reproche son mari. Louis est un manufacturier conservateur qui refuse de remettre en cause l’organisation sociale et défend l’ordre institué, qu’il s’agisse de la famille ou du travail. Le prétexte déclencheur de leur combat est un médaillon que la belle épouse aurait dissimulé, rendant fou de jalousie Louis. De cette situation découle toute la pièce, soit une lutte jusqu’à la mise à mort dans une langue au souffle échevelé, touffu, embrasé, enragé et captivant, que la scénographie de Daniel Jeanneteau entoure d’une atmosphère onirique et picturalement grandiose sous les lumières d’Yves Godin.

argument2On est aux antipodes du conflit de type déjà-vu dans le ménage, aux antipodes encore d’un texte conventionnel et bâti logiquement, aux antipodes du drame classique autant que du dialogue rationnel. On est immergé totalement dans la langue unique de Pascal Rambert, dans son univers et sa poésie qui entrelacent les structures socio-politiques à celles du couple sur fond tragique et idéaliste. La langue est talentueusement enchevêtrée aux tempéraments des comédiens et tramée point par point à la fresque du scénographe. Argument est un tout et le désosser serait le corrompre. Pascal Rambert a écrit en pensant à ses interprètes et ceux-ci sont corporellement inclus dans le mouvement des mots.

 Leurs silhouettes, leurs voix, leurs gestes viennent épouser la langue et leur intime correspondance avec l’auteur permet à toutes les audaces du texte de se faire accepter, répétitions, variations, listes, reprises, etc. Le clair-obscur qui règne sur le plateau, les sons de pluie et de vent, le cri de l’enfant, les pas lents de Louis courbé en animal menaçant, la courbe sensuelle d’Anabelle en rebelle à la fois désespérée et puérile, toute l’harmonie artistique qui préside à ce spectacle permet de se laisser happer et émouvoir tant par les suppliques qui osent un accent romantique que par les revendications presque naïves ou les jets énumératifs de mots. Les cloisons individuelles se perforent, le mari drapier pouvant se laisser emporter par une suite de noms de tissus, qu’il décline comme si du fond de sa pétrification bourgeoise un appel mélodieux se frayait un passage ouvert par les éléments autour de lui, lune, bourrasque, précipice de bord de mer. Face à lui, extraordinaire Laurent Poitreneaux, son épouse résiste en oscillant entre la passion et l’aspiration à la liberté tout en traçant une danse autour de l’abîme.

argument4Autre que Clôture de l’amour qui était articulé en monologues sidérants et tranchants prenant place dans notre époque, Argument installé dans le dix-neuvième siècle se permet des envolées visuelles et textuelles qui rappellent Byron, Villiers de L’Isle-Adam, Stendhal et Blake ou Géricault. Cette tonalité irrationnelle en 2016 est comme un coup de tonnerre dans notre temps. Certains y verront peut-être des revendications un brin désuètes, qu’importe, c’est à coup sûr un envol d’albatros dans le ciel contemporain. Sur le plateau nuageux où l’on croit voir se coucher la lande et surgir la falaise, cet homme et cette femme à travers leur joute verbale exaltée fracassent les tiédeurs actuelles.

Quitte à bousculer la rationalité ambiante, Pascal Rambert dans son déferlement déséquilibré aux contours crépusculaires invite superbement et courageusement à une poétisation du politique et du théâtre. Il nous convoque devant la mer de nuages de Friedrich comme pour faire remonter du temps des accents immuables et les renouveler selon sa propre musique dont il assume le tourbillon chaotique, il recompose un Sturm und Drang moderne en maniant des époques qu’il ne plagie pas mais qu’il ressuscite à l’image d’Annabelle. Et la harangue finale, quoique risquée, trouve sous le talent exceptionnel de la comédienne un accent suspendu entre ciel et terre, une frêle puissance qui se dresse au milieu d’une agonie où gisent le père et l’enfant. Subjuguant.

Emilie Darlier

[ Crédit photo : © Marc Domage]

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