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Place des Héros
De Thomas Bernhard
Mise en scène de Krystian Lupa
Avec Povilas Budrys, Neringa Bulotaitė, Eglė Gabrėnaitė, Doloresa Kazragytė, Viktorija Kuodytė, Valentinas Masalskis, Eglė Mikulionytė, Vytautas Rumšas, Arūnas Sakalauskas, Rasa Samuolytė, Toma Vaškevičiūtė
Du 9 au 15 décembre 2016
Du mardi au samedi à 19h Le dimanche à 15h
Spectacle en lituanien surtitré en français
Durée : 4h
La Colline 15 Rue Malte Brun 75020 Paris M° Gambetta
www.colline.fr
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Du 9 au 15 décembre 2016
Standing ovation triomphale à Avignon 2016, « Place des Héros » de Thomas Bernhard est une pièce à la charge féroce contre l’Autriche, mais aussi contre tous les nationalismes et mensonges politiques et idéologiques.
Une pièce en forme de bombe
La Place des Héros (« Heldenplatz ») a réuni triomphalement les Viennois autour d’Hitler quand l’Allemagne a envahi l’Autriche le 15 mars 1938. Dans sa dernière pièce, testament magnifique d’un auteur détesté dans son pays par une haine réciproque, l’Autrichien Thomas Bernhard imagine en 1988 le retour, dix ans après l’Anschluss, d’un vieux professeur d’université Juif, Joseph Schuster, à Vienne, dans son appartement donnant sur la Place des Héros, après un long exil avec sa femme à Oxford. Son frère Robert, professeur lui aussi, était à Cambridge, et revient dans leur maison de campagne. Mais sa femme, Hedwige, ne supporte plus le souvenir des clameurs des Viennois nazis et le force à retourner à Oxford. La veille de leur départ, alors que le piano du professeur mélomane a été envoyé par paquebot, il se jette par la fenêtre de son appartement sur la Place des Héros.
Existences maudites
C’est peu dire que la pièce, avant même d’être publiée ou jouée, à été violemment interdite en Autriche, en pleine affaire Kurt Waldheim, Premier Ministre autrichien élu malgré son passé nazi. L’histoire débute avant l’enterrement de Schuster dans la vieille maison familiale, et le fantôme de Schuster, fraichement défenestré, revit avec le long monologue de Madame Zittel sa gouvernante, qui lui voue une admiration sans bornes et avec laquelle il entretenait une relation privilégiée, évinçant sa propre femme et ses deux filles de manière grossièrement injuste. Car le personnage qui nous est conté dans le premier tableau, alors que la gouvernante repasse et donne des ordres, est un double de l’écrivain : exigeant, maniaque, paranoïaque, impitoyable, mais aussi d’une intelligence terrible, précis et vouant un culte obsessionnel à la vérité. Schuster fait partie des humanistes lettrés de la veille école, de l’ancienne Autriche multiculturelle, qui n’a pas supporté que son petit pays se couche devant le Reich allemand et puisse se défaire de sa culture et de ses atouts.
Une vérité qui dérange
Mais c’est le second tableau, celui où son frère Robert va prendre la parole face aux deux filles de Joseph, qui est le plus bouleversant. « Etre citoyen de ce pays est mon plus grand malheur » dira Robert, qui s’affiche comme résolu à vivre comme un mort vivant, sans avoir le courage de se suicider comme son frère ou de protester comme lui demande sa nièce. Face public, dans une belle lumière qui darde ses projecteurs vers les spectateurs, partie prenante de cette adresse, Robert va se lancer avec une douceur infinie dans une diatribe contre l’Autriche, son Eglise mercantile et ses politiciens corrompus, les Socialistes et les Libéraux coupables de tous les mensonges, le racisme et l’antisémitisme encore plus virulents après-guerre, l’abêtissement des individus par le nivellement de l’art et la négation de l’individu. « Le mieux serait de ne pas se réveiller » nous confie-t-il face à une apocalypse programmée, qui verrait l’humanisme, la littérature et la musique vendues aux sirènes de la vulgarité et de la médiocrité. Ce monologue décapant de l’Oncle Robert, écrit il y a moins de trente ans, résonne d’une manière particulièrement saisissante aujourd’hui dans une Europe mal en point et en proie aux nationalismes qui rejaillissent comme d’anciens démons.
Lupa habité par Bernhard
Après « Déjeuner chez Wiitgenstein », « Kant », « Extinction », Krystian Lupa poursuit son exploration de son auteur fétiche par une mise en lumière magistrale des personnages, révélant leur ambivalence de manière extrêmement subtile et nuancée. Leurs ressassements, leurs obsessions, leurs névroses sont la matière même de nos existences fragiles face au monde et à ce qu’on nous dissimule. Les comédiens du Théâtre National Lithuanien sont merveilleusement justes, dans des précipités de vie universelle et commune à tous. « Ce qu’écrivent les écrivains n’est rien en comparaison de la réalité » dit l’oncle Robert. On aimerait ne pas le croire, mais le réel lui a déjà à plusieurs reprises donné raison.
Hélène Kuttner
[ Crédit Photos : © D. Matvejev ]
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