Ensemble au Petit Montparnasse : émouvant, naturel, drôle, déconcertant, magnifique !

Nous sommes en Italie, au dernier étage d’un immeuble, dans un appartement où s’engouffre le soleil du matin à travers une grande fenêtre d’où on peut apercevoir le linge qui sèche en grappe entre les volets ouverts à l’extérieur.
La porte d’entrée donne sur un palier et on y peut voir l’amorce de la descente de l’escalier en colimaçon vers la rue. C’est de là qu’apparaîtront les protagonistes de cette émouvante affaire de famille.

Dès lors, le spectateur devient le témoin d’une saga émouvante où se retrouvent Isabella et ses enfants: Miquélé et Sandra. Ce spectacle est émouvant naturel drôle et déconcertant. On est dans leur histoire jusqu’au cou et on rira de bon cœur malgré la gravité de la situation. Quelle situation ? Quelle gravité ? rétorque la mère courage… Excellent !

Isabella, (Catherine ARDITI), touchante mère, est installée dans son déni, elle n’a jamais accepté que son fils soit différent des autres et Miquélé (Fabio MARRA) dont on perçoit immédiatement le handicap est devenu sa seule raison de vivre. Mais qu’en est-il de la vie de ce garçon ? Et Sandra (Sonia PALAU), comment a-t-elle pu trouver sa place de fille et de sœur dans sa famille où l’existence tourne autour d’un père absent et d’un frère simple d’esprit, impulsif et généreux ?

Dans son lien fusionnel avec son fils dont elle ne dira jamais qu’il est handicapé, que fait-elle de sa propre vie, de celle de ce fils à l’esprit simple et de celle de sa fille, la sœur qui s’estime «sacrifiée», puisqu’il y a une personne comme Miquélé qui demande autant d’attention?
Et le père ? Reviendra-t-il, celui-la ?

Ici personne n’est anormal, c’est l’axiome de base pour cette mère qui pose la question qui devient notre question : « Qu’est-ce que la normalité ? » Ce à quoi Sandra, sa fille, répond que lorsqu’on est malade il est nécessaire d’être soigné par le corps médical. Isabella répond qu’il n’est pas malade, il n’a ni rhume ni grippe ! Miquélé, le fils, répond à sa façon à ces interrogations en nous renvoyant à son monde tellement naturel fait de bonnes petites facéties et d’un étonnant bon sens.

On est dans leur histoire jusqu’au cou et malgré la gravité de la situation, on rira de ces situations où nous emmène la belle écriture de Fabio MARRA, auteur mirifique, qui veut nous dire qu’il «croit au rire comme antidote au drame.» Il a écrit Ensemble, pièce créée au Festival d’Avignon 2015 au Théâtre La Luna, pour mettre en scène et jouer ce thème aussi inconnu qu’universel : la normalité. L’auteur interroge : « Qu’est-ce qu’être normal ? Que se passe-t-il aujourd’hui quand quelqu’un a besoin de nous parce qu’il ne rentre pas dans le cadre ? Sommes-nous prêts à accepter la différence ?

Emotions étranglées, aveux étouffés

Fabio MARRA poursuit : « Comment peut-on vivre à côté d’une personne sans jamais avouer les secrets qui nous séparent? Comment, à l’intérieur du lien le plus intime qui existe, peut se former une zone si interdite ? Les plus grands problèmes d’identité se jouent précisément au centre de ces rapports car ce sont ces mêmes rapports qui nous constituent. La chose est incompréhensible, c’est précisément parce que nous connaissons l’autre que nous imposons les non-dits, les silences, et nous créons ainsi des rapports familiaux si serrés qu’ils étranglent les émotions, qu’ils étouffent les aveux. »

Son travail d’auteur-comédien-metteur-en-scène s inscrit délibérément dans la réalité sociale. Fabio MARRA marque le théâtre de notre temps. Son écriture fluide, mature, est très cernée. Formidable auteur et touchant comédien, il signe cette ingénieuse mise en scène. Par un simple artifice, il nous fait changer d’univers comme il le souhaite.

Floriane VINCENT (à droite) incarne avec un talent prometteur une charmante candidate à l’emploi extrêmement drôle. Elle est aussi très touchante en Claudia, éducatrice-infirmière, attachée à Miquélé et émue par Isabella. Sonia PALAU (à gauche) incarne Sandra, la fille, avec une rare générosité.

On ne sera pas étonné d’apprendre qu’elle a reçu le prix de lameilleure actrice du Festival de Cinéma de La Litera à Madrid (elle est catalane). Son jeu est précis, tout en intériorité et fait pendant à son frère, Miquélé, personnage extériorisé.

On dira de Catherine ARDITI qu’elle est naturellement remarquable en réaliste Isabella – la mère qui nous laisse entendre en permanence que quand on affirme qu’il n’y a guère d’espoir que demain ça aille mieux, elle confirme que la question n’a pas à se poser puisque… tout va bien. La solution au problème qui ne se pose pas pour elle n’étant pas dans les soins thérapeutiques, il fallait la dose de conviction de cette comédienne au jeu précis pour imposer à cette mère le temps de théâtre à court terme.

Musica : le Guappecarto

Enfin, pour illustrer ce beau tableau d’une exposition d’un thème difficile à appréhender, la musique du Guappecarto se glisse dans ce « théâtre fondé sur la construction d’histoires qui mettent l’individu et le comédien au cœur de la scène pour nous offrir un théâtre d’émotions »
Ce groupe insuffle un nouveau dynamisme à la scène musicale, il a été créé en 2004 à Pérouse et rodés dans les ruelles et cafés concerts italiens. Avec un violon, un accordéon, une guitare, leurs compositions oscillent entre inspirations tziganes et méditerranéennes, on sent bien leur Italie natale.

Patrick duCome

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