“Le Chevalier à la rose” au TCE : un régal de musique et de voix sur le mode du genderfluid
"Le Chevalier à la rose" © Vincent Pontet
Au Théâtre des Champs-Élysées, le metteur en scène Krysztof Warlikowski monte “Le Chevalier à la rose”, somptueux opéra de Richard Strauss qui fait triompher l’amour avec une sublime orchestration et sur un livret puissant d’Hofmannsthal. Sous la baguette de Henrik Nánási, Véronique Gens est impériale face à l’excellente et facétieuse Niamh O’Sullivan.
Mise en abîme

© Vincent Pontet
En 1911, Richard Strauss compose avec son ami et poète Hugo Von Hofmannsthal un chef-d’œuvre musical et poétique inspiré du théâtre français, qui prend place dans une Vienne monarchique du XVIIIe siècle. Plus classique et moins novatrice qu’Elektra, l’oeuvre se teinte de réminiscences très mozartiennes, éloignées de la musique de son contemporain Richard Wagner, en évoquant le temps qui passe avec une mélancolie bouleversante, sous la forme d’une valse viennoise qui revient comme un motif obsédant. Une comédie qui n’a aucun lien avec les thèmes de la mythologie, une pochade cruelle et sentimentale qui célèbre l’amour dans un monde convenu par une hypocrisie machiste et marchande, dans un empire en perte de vitesse, dont les échos, en 1911, s’annoncent funestes. Voici donc une Maréchale dont le mari court le monde, va à la chasse, et qui s’amuse tendrement avec un chérubin, un adolescent de 17 ans aux joues encore très douces qui lui fait tendrement la cour. L’opéra s’ouvre sur une scène sentimentalement torride, où les amants, étourdis par les mots doux, se jurent dans l’intimité un amour éternel. Mais l’humour jaillit aussi du livret poétique d’Hofmannsthal, gorgé de termes français, pour faire de cette romance un doux moment entre Bichette et Quinquin. Parce que le rôle de l’adolescent Octavian est chanté par une femme, comme le Chérubin du Mariage de Figaro de Beaumarchais, le metteur en scène projette d’emblée une vidéo en noir et blanc des deux interprètes partageant des ébats amoureux dans un lit, Véronique Gens et Niamh O’Sullivan, félines et sororales. La relation de Marie-Thérèse et d’Octavian devient donc, si ce n’est en rêve, une relation homosexuelle. Warlikowski ne cessera de creuser ce sillon jusqu’à la scène finale où Sophie, la nouvelle fiancée d’Octavian, lui enlève sa perruque d’homme.
Débauche intime

© Vincent Pontet
Dès lors, prise au jeu du dévoilement moderne, la mise en scène cherche à briser les codes classiques en multipliant les références à la modernité et au clinquant des années post-modernes. Le décor est celui de la petite salle de la Comédie des Champs Elysée, petit théâtre à l’italienne, le Studio, avec ses balcons de velours rouge, mais très vite masqué par un froid mur de verre incrusté pour des scènes plus intimes. Tantôt scène de théâtre, envahie par une faune de noctambules habillés en Gucci avec des couleurs voyantes, tantôt alcôve cinématographique, avec un Octavian genderfluid dont l’indétermination de genre est dénotée par une allure dansante, des vêtements de mode ambivalents, et qui court d’un monde à l’autre comme à la recherche de lui-même. Et c’est la profusion scénique, qui multiplie les références, portables et cigarettes que l’on grille à tout bout de champ, défilé de danseurs de break-dance, chanteurs et figurants tout droit sortis d’un défilé de mode londonien, mélange d’ocre et de violet, qui finit par brouiller les pistes de compréhension du spectateur qui perd souvent le fil de ces personnages.

© Vincent Pontet
Pourquoi Octavian est soudain dédoublé en trois clones ? Pourquoi ces danses de rue, dans une Vienne aristocratique ? Le burlesque et le mélange des genres fonctionnent à l’arrivée du Baron Ochs, un aristocrate débordant de grossièreté et d’outrance machiste qui hérisse toutes les femmes, mais l’intimité, la tension et le tabou moral des scènes d’amour entre la Maréchale et Octavian, livrées comme au théâtre ou sur un plateau de cinéma, avec caméra et perchiste, tables de maquillage et fauteuils amovibles, souffrent cependant de vérité. Certes, la maîtrise scénique, l’organisation sophistiquée du plateau et la direction d’acteurs sont ici à saluer. Mais on perd vite le fil de l’intrigue et on peine à trouver un axe de compréhension rassurant. D’autant que de faire d’Octavian un être de sexe indéterminé, qui penche plus souvent du côté féminin, modifie l’intrigue.
Des interprètes magnifiques

© Vincent Pontet
Ils sont magnifiques, les interprètes de cette comédie amère sur le vertige du temps qui passe, qui semblent brûler leur vie pour oublier la mort et le chagrin. On l’a dit, Véronique Gens s’empare de ce rôle énorme avec une grâce et une limpidité souveraine, élégamment vêtue, altière, toute en souffrance retenue. Timbre langoureux et vibrato majestueux, la soprano exprime pleinement le temps qui passe et l’échec prévisible d’une relation amoureuse, dont elle délivrera bientôt, dans un geste d’abandon désespéré, son amant. Niamh O’Sullivan se révèle solaire, mobile et facétieuse dans le rôle d’Octavian, jeune officier blondinet qui boit encore du lait tout en maniant l’épée. La jeune mezzo possède un atout vocal en or, une projection et une justesse dans les notes hautes, doublées d’une belle présence dynamique et sensuelle. Face à la Sophie de Regula Mühleman, soprano parfaite, à qui elle offre la fameuse rose, le dialogue est d’une musicalité et d’une clarté cristallines. Peter Rose reprend un rôle qu’il connaît parfaitement avec une maestria hautement théâtrale et une prestance vocale admirable. On aime aussi beaucoup le Faninal de Jean-Sébastien Bou, personnage ambivalent et agité, que le chanteur s’efforce d’incarner avec une justesse acérée et un piquant d’acier. L’Annina d’Eléonore Pancrazi est tout aussi efficace et talentueuse dans ce personnage perché sur talons, et Francesco Demuro convainc magnifiquement dans l’interprétation du ténor italien, qui chante avec un slip rouge écarlate. L’ensemble de la distribution est plus que parfaite, alors que dans la fosse l’Orchestre National de France, ainsi que le Chœur Unikanti et les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, déploient leur virtuosité et leur aisance musicale, sous l’épatante et précise direction du chef hongrois Henrik Nánási qui valorise les étourdissants contrastes de cette partition de rêve.
Hélène Kuttner
Articles liés

« Pourquoi je n’ai jamais été heureux en amour » : un one man show bouleversant
Se saisissant de la scène comme d’un livre ouvert, le comédien Patrick Massiah se livre à coeur ouvert, depuis les rives de la Méditerranée, du Maroc et de Nice, jusqu’au cours de théâtre de Julien Bertheau qui lui a...

“Damascus” (feat. Omar Souleyman and Yasiin Bey) : nouveau titre de Gorillaz extrait du prochain album “The Mountain”
“Damascus” (feat. Omar Souleyman and Yasiin Bey) est le tout nouveau titre de Gorillaz, le quatrième extrait du prochain album studio du groupe, “The Mountain”, qui sortira le 27 février 2026 sur leur propre nouveau label, KONG. Écrit par...

Billie Eilish au cinéma : découvrez les premières images exclusives du film coréalisé avec James Cameron
Réalisé pendant sa tournée mondiale jouée à guichets fermés, BILLIE EILISH – HIT ME HARD AND SOFT TOUR (3D) propose une nouvelle expérience de concert innovante sur grand écran, avec l’une des artistes les plus célèbres et les plus...





