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“L’Ecole de danse”, un Goldoni tout en finesse à la Comédie Française

Hélène KUTTNER 18 novembre 2025
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© Agathe Poupeney

Clément Hervieu-Léger monte une pièce méconnue de Goldoni, « L’Ecole de danse » et réunit une troupe à son meilleur avant les travaux de rénovation de la salle Richelieu qui commencent en janvier 2026. Sous des airs de comédie légère, cette peinture sociale d’une école de danse dirigée d’une main de fer par un maître, joué par Denis Podalydès, se révèle une pièce merveilleusement piquante, drôle et cruelle. Quand la danse et les danseuses deviennent des objets monnayables et les compromissions une règle de conduite. 

Petits trafics dans une école de danse

©AgathePoupeney

A Florence, au XVIII° siècle, Monsieur Rigadon, maitre de danse tyrannique et près de ses sous, garde sous sa coupe une flopée de jeunes danseurs qu’il martyrise à coups d’insultes et de cris de colère. De temps en temps se présentent à lui des impresarios ou intermédiaires véreux qui lui « achètent » une danseuse pour la faire tourner dans des spectacles. Mais les affaires vont mal et le vieil homme, pour nourrir ses jeunes recrues et renflouer la maisonnée, lui-même vivant avec sa propre soeur, une vieille fille fantasque, doit accepter qu’une mère désespérée lui confie sa fille prodige, Rosina, afin de pouvoir signer des contrats juteux. Clément Hervieu-Léger a choisi d’utiliser le décor de son « Misanthrope » et a transformé les contraintes techniques en opportunité artistique. Le studio de danse est ainsi une grande pièce en sous-sol, que la lumière de la ville transperce grâce à de hautes fenêtres qui donnent sur la chaussée. La patine de poudre grise des murs, l’escalier de bois qui mène à la rue, les tutus de tulle blanche portés sur des corsets chair des jeunes danseuses, tout rappelle les tableaux de Degas et le mélange de sublime et de misère qui se dégage de ses portraits de danseuses dans le foyer de l’Opéra au 19° siècle. 

Entre Degas et Zola

©AgathePoupeney

C’est donc dans une atmosphère du XIX° siècle, celui de Tchekhov et de Zola, que le metteur en scène situe cette œuvre de Goldoni, qui rompt ici totalement avec les personnages typés de la commedia dell’arte et le spectaculaire d’une action grotesque. Rien de tel ici, et les comédiens font preuve d’un naturel et d’une sincérité totale dans leur jeu, très actuel. Denis Podalydès d’abord en maître de danse totalement dépassé, la chemise élimée et le pantalon flottant. Plus il se montre autoritaire et cassant à l’égard des jeunes interprètes, plus il est ridicule et plus ces derniers se moquent de lui. Le comédien trimballe sa dégaine en se heurtant à tous les murs de discorde, le même sourire moqueur accroché au visage, comme un défi au réel. Il faut dire qu’autour de lui ça grouille de monde, et que les manigances vont bon train. Florence Viala nous réjouit dans la composition surréaliste de Madame Scormiand, la sœur du maître, qui va finir pas se faire épouser par Ridolfo, un courtier malhonnête, campé par Stéphane Varupenne. Clotilde de Bayser déboule comme une tornade dans le rôle de la mère de Rosina, jouée par Léa Lopez, bien décidée à monnayer le talent de sa fille. 

Le mariage ou la liberté

©AgathePoupeney

Quand à Loïc Corbery, qui interprète le Comte Anselmo, il rode dans le studio en quête de la jeune artiste qu’il aime, Giuseppina, incarnée par Pauline Clément. Tous les personnages sont en mal de liberté et d’amour, et profiteront de la moindre occasion pour séduire et épouser, pour pouvoir quitter cette école en forme de prison. Et l’auteur Goldoni, comme le metteur en scène, accorde une scène en forme de monde à chacun des personnages dans sa souffrance et son manque de liberté. Claire de La Rüe du Can est Félicita, que le maître veut « vendre » à Don Fabrizio, l’imprésario, joué par Eric Génovèse. Mais la jeune fille refuse de danser, et préfère devenir comédienne. Jean Chevalier, Marie Oppert, qui chante magnifiquement, Adrien Simion et Charlie Fabert, sont les autres danseurs qui forment cette mini-société en rébellion, alors que l’action se dénoue grâce au Notaire campé par Noam Morgensztern. Il y a dans ce mouvement perpétuel d’êtres épris de liberté une légèreté et une fantaisie inspirantes, qui se déploient entre les barres fixes des danseurs classiques. Portée par une troupe de comédiens épatants, grâce à une traduction intelligente de Françoise Decroisette, cette nouvelle production est une vraie réussite.

Hélène Kuttner 

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