“Les Carnets de Harry Haller” adapté au Théâtre du Roi René
Frédéric Schmitt © Hervé Vallée
Choix exigeant s’il en est, la volonté de mettre en scène Les Carnets de Harry Haller, troisième partie du Loup des steppes d’Hermann Hesse, atteint son but grâce à une interprétation et une mise en scène performantes.
Prix Nobel de littérature en 1946, Hermann Hesse appartient à la grande tradition des auteurs allemands. Avec Peter Camenzind, Siddhartha ou encore Narcisse et Goldmund et Le Loup des steppes, il signe quelques-uns de ces plus grands succès qui feront de lui l’auteur de langue germanique du XXe siècle le plus lu dans le monde. À côté de son talent littéraire, la personnalité de cet humaniste, amoureux de sa patrie mais étranger à toute idée nationaliste ou belliqueuse, renforce l’aura qui entoure un écrivain ayant vécu les périodes sombres et violentes des deux terrifiants conflits mondiaux.
Les Carnets de Harry Haller constitue la troisième partie du Loup des steppes qu’il serait abusif de qualifier d’autobiographie, même si des similitudes certaines apparaissent entre le personnage et le héros, à commencer par les initiales communes. On y ajoutera ce goût si particulier pour la solitude considérée comme un but à atteindre et synonyme d’indépendance. Le héros d’Hermann Hesse vit volontairement reclus (l’auteur, lui, fut poussé à cette forme de vie en partie du fait de graves problèmes de vue) et l’on verra une sorte de profession de foi dans cette question : “Comment ne pas devenir un loup des steppes et un ermite sans manières dans un monde dont je ne partage aucune des aspirations, dont je ne comprends aucun des enthousiasmes ?” Harry Haller, amoureux des livres et de musique classique, finira, dans ce récit final, par céder à l’attirance du monde et de ses lumières pour se réconcilier enfin avec lui-même en retrouvant le lien avec son environnement. Une sortie hors des murs, libératrice, occasion d’achever une journée à toutes autres pareilles, en allant, non sans quelques appréhensions, sentir le contact de la pluie, le goût d’un verre de vin ou la redécouverte d’un quartier et, ce faisant, retrouver ses semblables, fussent-ils, au fond, infréquentables. À l’heure de la communication instantanée à outrance, ce thème, aride, il faut en convenir, de la solitude, pesante mais source de tant de richesses intellectuelles, ne manquera pas de surprendre.

Frédéric Schmitt © Hervé Vallée
Le style, imagé, à la fois précis et sobre, mais minutieusement ciselé, d’une grande pureté est au-dessus de toute critique, si l’on excepte son aspect quelque peu suranné (le temps a fait son œuvre). L’art de la mise en scène de Jean-Christophe Barbaud passé maître dans l’art d’adapter des classiques (nous garderons longtemps en mémoire son foisonnant et impressionnant Ingénu de Voltaire) contribue à vivifier le texte. Une chaise et un minuscule pupitre constituent le seul décor. Mais le jeu subtil des lumières, les extraits musicaux, les mouvements de l’acteur viennent insuffler l’énergie nécessaire à l’écoute du comédien qui se fait dans un silence religieux. D’autant qu’épanoui dans cette mise en scène, Frédéric Schmitt, avec une remarquable intensité, donne corps au héros.
Visiblement habité par sa partition, il en donne toutes les facettes et toutes les sonorités et nous laisse entendre la richesse, la beauté et la mélodie d’un texte né sous la plume d’un grand mélomane. Son interprétation permet de redécouvrir un écrit qui ne manquera pas de ravir les amoureux de la littérature et ceux qui, contre vents et marées, entendront s’incliner devant la puissance des mots et s’abreuver de leur puissance salvatrice.
Philippe Escalier
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