“Les Conséquences” de Pascal Rambert : un feu d’artifice théâtral
© Louise Quignon
Au Théâtre de la Ville, l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert convoque sur l’immense plateau onze comédiens, dont Jacques Weber et Marilú Marini, pour une saga familiale transgénérationnelle qui s’étendra jusqu’en 2029. Corps survoltés, langage brûlant, acteurs habités, font de cette création un extraordinaire moment artistique dans le cadre du Festival d’Automne.
Tempête sous une tente

© Louise Quignon
Tout commence par la mort de la grand-mère qui lisait Heidegger en allemand mais qui cachait des Juifs dans un minuscule appartement rue Jacob durant l’Occupation. Cent cinq ans d’une vie que son fils, Jacques Veber, expédie entre tendresse et détachement, alors que sa petite fille se marie. L’urne en forme de grosse goutte d’eau bleu azur trône au milieu d’une des longues tables qui occupent cette immense salle de restauration cernée d’une bâche en toile plastifiée, dont les ouvertures à fermeture éclair claquent furieusement au vent des passages successifs. La cérémonie de la crémation anticipe le mariage, mort, naissance et mariage se succèdent à la vitesse accélérée d’un métronome compulsif. D’ailleurs, sous cette lumière blanche éclatante, chacun des personnages surgit à la vitesse de l’éclair, pour disparaître aussitôt en courant. Seul Jacques (Veber) le patriarche député-maire-psychiatre et linguiste et Marilú (Marini) son épouse semblent posés. Tout comme sa fille Anne (Brochet), entièrement habitée par l’écriture de son roman et délaissant son cabinet de radiologie, alors que sa relation à son mari, Arthur (Nauziciel) est excécrable. Il faut dire que dans le théâtre ardent de Pascal Rambert, les personnages sont les acteurs eux-mêmes, dans ce mille-feuilles étourdissant du théâtre dans le théâtre.
Amour, trahison, rupture et possession

© Louise Quignon
On retrouve le couple d’amoureux mythiques qui ont créé « Clôture de l’amour » en 2011, et qui l’ont jouée aux quatre coins du monde durant treize ans, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, dans une relation conjugale iconique et ravageuse. Audrey, femme fragile et à fleur de peau, est révoltée par toutes les injustices du monde. Elle a fait Normale Sup et a épousé un énarque, Stanislas, envoyé en Corrèze pour avoir pris des positions trop à gauche. L’univers de l’auteur reste un microcosme d’adultes à la tête bien faite, lissée par les grandes écoles de la République. Mais Audrey et Stanislas se battent à mort avec des mots sanglants, des injures et des invectives tranchantes parce que l’épouse n’a jamais cessé de correspondre avec son amour de jeunesse, Laurent (Sauvage) qui a tiré dans les jambes d’un député à la moralité politique douteuse devant le Flore à Saint-Germain. La prison rend désirable le bad boy qui obsède la jeune bourgeoise au grand dam du mari furieux. Ici, le théâtre de boulevard et les portes qui claquent chez Georges Feydeau se transmue en une scène de cinéma aussi cinglante que tragique.
Des acteurs fulgurants

© Louise Quignon
On pourrait relever de trop nombreuses références, attendues, sur la vie politique et la déliquescence des idées aujourd’hui, sur la montée en puissance de la droite radicale et la radicalité des égoïsmes planétaires. Soit. Mais l’interprétation des comédiens se révèle si juste, si sincère, si engagée, que la pièce entière se déguste avec un grand bonheur de spectateur. Rambert évoque beaucoup d’événements, traverse les relations familiales, conjugales, explore l’intime dans ses secrets les plus dérangeants. Et ses acteurs portent le texte à pleine voix, le corps en mouvement constant, comme les danseurs d’une langue qui constitue en même temps une arme et un bouclier. Les mots claquent et les acteurs dansent sur le langage, le chantent, le hurlent ou le poétisent. Marilú Marini royale, détachant avec son accent précieux chaque mot avec la gourmandise d’une grande artiste ; Jacques Veber, émouvant et vibrant, sobre, tout droit sorti de la Cerisaie de Tchekhov. A leurs côtés, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, ardents et impérieux, Anne Brochet et Arthur Nauzyciel, Laurent Sauvage, formidables de vivacité et de vérité, puis Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda et Mathilde Viseux, jeunes comédiens sortis du TNB ou du TNS pour lesquels l’auteur a écrit des rôles ces dernières années. On rit souvent, on est époustouflés par une telle énergie qui est celle de la vie et de la fiction théâtrale.
Hélène Kuttner
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