“Les Enivrés” ou la rage de vivre entre violence et déraison
©Christophe-Raynaud-de-Lage
Au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Frédéric Bélier Garcia, nouveau directeur du lieu, met en scène douze comédiens au jeu fiévreux pour incarner des personnages ivres d’alcool, de stupéfiants ou de rage de vivre, dans une mégapole d’aujourd’hui, pris dans la ronde de leurs désirs et de leurs frustrations. L’écriture fragmentaire et haletante d’Ivan Viripaev, auteur d’origine russe qui a pris la nationalité polonaise, en ressort brûlante et magnifiée. Un spectacle aussi puissant que beau.
Ronde de nuit

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Un tapis de poudre blanche comme la neige a envahi le grand plateau, qui s’ouvre en bi-frontal, longeant les rangées de spectateurs de chaque côté d’un angle droit, alors qu’en fond de scène se dresse un rideau de théâtre rouge. Mystérieux rideau qui s’ouvrira sur une boite de nuit, une boite de jeux, un lupanar décadent aux pratiques mystérieuses ou un appartement qui recèle des poudres magiques pour s’enivrer. C’est un véritable terrain de jeu qu’offre le metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia à ses jeunes acteurs inspirés qui ne vont pas tarder à envahir la scène. L’amour, les miracles de l’au-delà, le lien mystique, le désir, la joie du Nirvana, l’amitié passionnelle et les liens de tout ordre, au Christ, à une femme, à un homme, à son frère, sont les axes qui conduisent des personnages un peu à la dérive à s’accrocher désespérément aux autres. Comme la superbe danseuse en costume doré de sirène, qui peine à se stabiliser sur ses talons, comme éjectée d’une rave party, gorgée à la vodka, qui s’arqueboute avec une grâce stupéfiante, une élasticité virtuose, aux cordes d’un praticable de sécurité. La musique rugit sur une création de Bernard Vallery. La lumière dorée de Dominique Bruguière magnifie les personnages qui semblent en déséquilibre constant sur le plateau. Surgit un vieil homme, cancéreux, qui se gave des visions si tumultueuses avant de disparaître dans son hôpital.
Acteurs inspirés

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Dans cette nuit de folie, qui s’apparente à un puzzle de moments fous, à travers lesquels des personnages en état second font preuve d’une extrême lucidité, évoquant le lien amoureux, l’absolue nécessité de la passion, en tutoyant Dieu ou le Christ, chacun est fatalement et définitivement seul, livré à lui-même et condamné, comme dans la Bible, à racheter ses péchés. Le jeu des questions réponses frise l’absurdité, on se rudoie et on se bat, ou on s’embrasse à pleine bouche. Le délire est en chacun, puisqu’il fait bien se libérer d’un quotidien trop étroit. La nuit autorise tous les excès, les maris s’arrêtent pour draguer les sirènes dans les rues, on s’autorise à enterrer quelqu’un, comme on saute le pas quand on désire ardemment une personne, on est prêt à rompre des fiançailles avec sa promise quand dans la rue une malheureuse jeune femme vient de se faire plaquer avant son mariage. Les codes sont encore bien présents, la vie, la mort et le mariage, et les costumes constituent les artifices obligatoires de l’apparence.
Frénésie émotionnelle

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Les jeunes comédiens, embarqués dans cette frénésie qui n’empêche aucune explosion de tendresse, d’amour et de passion, sont tous d’une sincérité magistrale. Chacun se donne au travers d’une incarnation sensuelle et physique, mais aussi spirituelle, dans son personnage. On a l’impression nostalgique de pénétrer dans le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, où dans un tableau nocturne de Chagall avec des personnages dansant au milieu des chèvres et des vaches. Femmes et hommes se parlent en s’inventant des vies nouvelles au milieu de barres d’immeubles staliniennes. Le théâtre ici se fait véritablement fête dionysiaque où chacun célèbre et cultive, en communion, l’espoir d’une vie meilleure. Excréments de la vie inférieure et étoiles de la planète céleste s’unissent pour le meilleur et le pire, l’essentiel dans ce mode de survie étant de rester vivant. Dans ce geste théâtral d’une grande beauté, la troupe d’acteurs réussit une heureuse performance pour le vrai bonheur du public.
Helène Kuttner
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