“Deux hommes tout nus” face au “Dîner de cons” : quel vaudeville choisir ?

D’un côté, Sébastien Thiéry avec l’une de ses nouvelles comédies cruelles et provocantes ; de l’autre, une adaptation du film de Francis Veber où triomphaient il y a quinze ans Daniel Prévost et Jacques Villeret. 

Essai comparatif sur deux comédies contemporaines destinées à nous faire rire et réfléchir – un peu – sur nous-mêmes.

L’histoire : Dans Deux hommes tout nus, Alain Kramer, un avocat qui vit bourgeoisement avec son épouse boulevard Haussmann, se retrouve, à la nuit tombée, aux côtés d’un homme dénudé dormant dans le canapé-lit de son salon. Stupéfaction, effroi et terreur vont le submerger alors que sa femme débarque et qu’il lui faudra justifier une situation plutôt scabreuse.

Dans Le Dîner de cons, Pierre Brochant, un célèbre éditeur parisien, a convié François Pignon, un employé du ministère des Finances, à un dîner hebdomadaire où l’invité surprise serait le “con” de la soirée, choisi parmi tous les imbéciles dénichés par les copains. 

Le revers de la farce : Sébastien Thiéry, l’auteur de Deux hommes tout nus, aime jouer sur l’absurde d’une situation de départ, maintenir le plus longtemps cette folie – les deux hommes vont se réveiller plusieurs fois côte à côte – avant de déconstruire petit à petit le vernis trop chic d’un couple bourgeois sans vagues en révélant les pulsions inconscientes.
Francis Veber, pour son Dîner de cons, s’amuse à nos dépens de l’arrogance intellectuelle et machiste de son héros vis-à-vis de ceux dont il se moque, d’autant que c’est finalement le “con”, Pignon, avec son innocence, qui sauvera le couple Brochant.

La pièce : Très rodée pour Le Dîner de cons, avec des répliques aux petits oignons qui font mouche en jouant sur le décalage de plus en plus énorme entre cet éditeur bourgeois, policé et amateur d’art, et Pignon, fonctionnaire au ministère des Finances qui passe ses soirées et week-ends à réaliser des maquettes de ponts avec des allumettes ! Deux mondes, deux univers masculins que tout oppose, tellement éloignés qu’ils vont se percuter en plein vol, provoquer des accidents avant d’atterrir. Une façon pour l’auteur de pousser bien loin le bouchon du ridicule pour y retrouver un zeste d’humanité.
Un peu plus poussive à notre avis pour Deux hommes tout nus qui part d’une excellente situation de départ, sans pour autant maintenir le souffle jusqu’à la fin. Cela donne d’excellentes répliques, piquantes et drôles, mais d’autres plus lourdes et répétitives. L’homosexualité latente, bien sûr, avec des préservatifs qui traînent sous les canapés, ne manquera pas d’en faire sourire certains.

Les acteurs et la mise en scène : Une composition en or massif pour François Berléand, royal dans l’avocat tout nu et étranger à lui-même. Il parvient, la taille ceinte d’une serviette de bain avec une allure d’empereur romain, à captiver l’auditoire et à le rendre compatissant vis-à-vis de sa situation désespérée. À ses côtés, Isabelle Gélinas, sa femme ostéopathe, et Sébastien Thiéry, qui joue le rôle du faux amant, sont parfaits dans la mise en scène intelligente de Ladislas Chollat.
Dans le rôle du “con” de Francis Veber, Patrick Haudecoeur est inénarrable, mêlant de manière sucrée la naïveté et la gentillesse et accumulant les boulettes face à José Paul, éditeur célèbre mais cloué au lit par un tour de reins, épatant. Grégoire Bonnet est fort drôle dans le rôle d’un contrôleur du fisc, Florence Maury et Anne-Sophie Germanaz impeccables dans une mise en scène efficace d’Agnès Boury.

Au final : Un Dîner de cons formidablement bien mené, tous publics et très drôle, face à Deux hommes tout nus avec lesquels on passe une bonne soirée tout en restant quelque peu sur sa faim. 

Hélène Kuttner

[Crédit photo : Lot]