“Room”, l’espace mental débridé de James Thierrée au Châtelet
© Richard Haughton
Avec sa dernière création conçue durant le confinement, le petit-fils de Charlie Chaplin s’est laissé aller à briser toutes les frontières du sens pour faire exploser ses émotions, avec des mots et en musique. Dans une scénographie magistrale, l’artiste virtuose nous embarque dans un tourbillon d’images et de sons où les objets s’animent et où les corps se morcèlent. Une étourdissante et vertigineuse descente dans l’enfance de l’âme initiée par le Théâtre de la Ville.
Sans limites

© Richard Haughton
James Thierrée, le petit-fils virtuose de Charlie Chaplin qui grandit dans le monde de l’acrobatie et du cirque depuis l’âge de 7 ans, et qui depuis vingt-cinq ans, poursuit une trajectoire personnelle originale et riche de succès avec le Théâtre de la Ville –La Symphonie du hanneton (2003), La Veillée des Abysses (2004), Raoul (2009)– s’attaque aujourd’hui à faire exploser son espace mental, sa chambre de création dont les parois, comme la chambre de Grégoire dans La Métamorphose de Kafka, vont peu à peu s’envoler où au contraire s’écraser. Avec une dizaine d’artistes musiciens, chanteurs et circassiens tous remarquables, il incarne un double de lui-même, petit homme à la chevelure argentée, mi-chef d’orchestre mi magicien, qui s’élance léger et nerveux au gré de ses pulsions comme Don Quichotte à l’assaut des ailes des moulins. Mais ici, point de moulins, de Sancho Pança ou de Rossinante. « Je voulais faire un spectacle qui soit un chaos assumé » déclare l’artiste qui sur scène a accumulé tous les accessoires qui lui sont chers : porte au médaillon ancien, coffre-fort, cadres de tableaux, mannequins de couturières, tuba et caisse claire… une multitude d’objets qui prennent vie grâce à l’ingénierie des techniciens du spectacle.
Chaos assumé

© Richard Haughton
C’est une chambre d’enfant grandeur majuscule qui nous est ouverte en pleine lumière sur la scène, découpée par les ombres magnétiques des personnages et des objets qui viennent la déchirer. Dans cette chambre, nul ne tient en place. Le héros chaplinesque vrille sur place, se déstructure comme un pantin désarticulé avant de se jeter sur un parapluie ou se précipiter tel une fusée à travers le cadre d’un tableau. Une aérienne danseuse surgit en glissant sur le sol avant de se contorsionner comme un chat, une autre plus costaud se lance dans un enchaînement de break-danse au niveau impressionnant, puis tout s’emballe, la musique gronde ses accords stridents de violon suraigu, comme la houle d’une tempête shakespearienne à laquelle aucun navire ne résiste. Est-on au théâtre ? Ou sur un tournage de Fellini ou le burlesque le dispute au grotesque ? Et que vient faire Alessio, contremaître ou régisseur à l’allure de geôlier du théâtre avec son gros trousseau de clés sonores qui pendouille ? Les portes, les murs se meuvent avec la légèreté des toiles peintes, alors qu’un piano à triple clavier semble jouer tout seul.
Symphonie renversante

© Richard Haughton
Les musiciens dansent et chantent aussi, sur des compositions de James Thierrée qui lui aussi se met à chanter tel un crooner saisi par le spleen. Car au-delà d’une chorégraphie faussement désordonnée, à l’anarchie soignée, les textes, les mots des chansons jaillissent avec une belle énergie. Folk, électro ou hard rock, la musique emporte les personnages et les objets dans un ascenseur émotionnel qui nous fait faire un tour de piste à la vitesse d’un TGV. Comme si, malgré l’affolement du metteur en scène, tout lui échappait dans un élan de révolte et de folie. L’adresse des artistes, leur inventivité et leur énergie nous impressionnent. Et l’auteur de cette création multiplie, avec un cabotinage avéré, les apostrophes au public, s’interrogeant sur le sens du spectacle et sa cohérence invisible. Thierrée semble jouer avec nous tout en se moquant de lui-même, mi-ange mi-bête, enfantin jusqu’au bout de sa malice. Ce touche-à-tout sacrément doué reste un poète qui nous enchante, avec ses camarades, de ses images renversantes et de ses chansons à la tendresse désespérée.
Hélène Kuttner
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